jeudi 22 octobre 2009

Pensée précaire : cancer de l'autoritarisme durable ?

J'ai répondu à ce questionnaire http://biens-communs.blogspot.com/2009/10/un-questionnaire-pour-les-precaires.html . Je l'ai trouvé pas si mal fait que ça. Il est suffisamment ouvert pour rendre compte de situations très diverses fonctions de l'ancienneté dans la précarité, de la plus ou moins grande proximité des organismes d'enseignement et de recherche, fonctions aussi des fonctions occupées : un champ très large que je pense très complexe. J'espère justement que le traitement de ce questionnaire m'apportera à moi ainsi qu'aux autres précaires, une représentation suffisamment fine de ce champ très opaque pour savoir comment et avec qui agir. Pour moi, mais je suis un vieux précaire, c'est l'isolement intellectuel, social, syndical et politique, qui est la forme la plus perverse de ces situations de non statutaire. Une mort sociale programmée.

Mais cette préoccupation soudaine à propos du sort des précaires, alors que le problème perdure et se perpétue depuis fort longtemps, peut apparaître quelque peu suspecte. A chaque fois que les statutaires de la fonction publique sont menacés, ils rouvrent le dossier de la précarité pour faire avancer le leur, et de conclure in fine : la gestion des emplois précaires dans les universités (par exemple) a été tellement catastrophique ces dernières années que la situation n'est pas gérable, alors, faisons table rase du passé et repartons sur des bases plus saines. Autrement dit, reconnaissons les "gens du passé" comme des déchets du système (à stocker en Sibérie pour les plus dangereux) et limitons à l'avenir la pollution produite par ce système.

Mais les gens qui ne sont pas « des déchets comme les autres déchets », restent, s'accrochent et tout redémarre comme si de rien n'était : une façon sournoise de faire comprendre que les précaires des activités scientifiques, le sont parce qu'ils le veulent bien, par choix, par sacerdoce. Les plus faibles servent souvent d'épouvantail dans les négociations : si vous n'aménagez pas un peu votre réforme j'agite l'épouventail culpabilisant des plus faibles, de la honte que vous ne puissiez pas faire grand chose pour eux, si vous négociez nous saurons "oublier", faire avec, ne plus faire cas.

Si vous avez des doutes sur ce processus vous pouvez vous reporter aux réactions des lecteurs à un article paru dans Lemonde.fr d'il y a quelques semaines, à propos de ces questions. http://biens-communs.blogspot.com/2009/10/les-soutiers-de-luniversite.html

Il est vrai que comme le suggère un chercheur (mail reçu dans le cadre d'une liste de diffusion) cette consultation reste insuffisante pour faire état du rôle que joue les précaires dans la recherche publique. Il propose de réaliser une étude quantitative sur le nombre de communications, de publications et d'interventions pour se faire une idée de ce que « la recherche publique française doit aux précaires ». Cette personne est persuadée, je le cite, que "le silence et la cécité de la plus grande partie de la profession - aux premiers rangs desquels les syndicats - concernant le rôle des précaires, n'est pas un hasard ; quoi de plus pratique qu'un sous-prolétariat intellectuel, condamné à produire chaque année pour quelques vacations pourries, alimentant sans rechigner le stock de productions nationales, dont la plus-value - en terme d'excellence scientifique, de classement - ira finalement aux installés." Une hypothèse de travail qui me paraît somme toute intéressante et fondée,mais, je crains que cette proposition d'étude bien que pertinente, ne puisse déboucher quels qu'en soient les résultats, que sur un "Et alors ?" généralisé. J'ai de sérieux doutes sur tout ce qui focalise aujourd'hui sur les question de la qualité des personnes, des compétences, de la récompense, de leur mérite, de l'évaluation...

Alors puisque la boite de Pandore s'entrouvre à nouveau, pourquoi ne pas tenter d'élargir la problématique posée par les précaires ? N'est-il pas urgent d'examiner les conditions de production actuelles et futures des sciences et de la connaissance ? Faut-il attendre qu'un illustre inconnu, caissier dans une station service décroche un prix Nobel, qu'il se refuse à aller le retirer de crainte de perdre son emploi, (à la station service il est d'astreinte et en plus ils sont en sous effectif, et le patron a horreur des vagues - c'est ça la France qui bosse ! -) que l'opinion publique s'en émeuve (c'est croustillant comme histoire non ?) et que l'opinion se persuade que ce monde rationnel si chèrement acquis, est quand même bien mal fait ?


A la fac ou au cirque, on m'avait enseigné que la science ne fondait rien de moins que le substrat de légitimation d'une civilisation à portée universelle tant sur le plan économique, social que politique (un truc pour accepter que les uns dominent les autres, pour comprendre le pourquoi du comment, pour donner un sens à nos existences, des origines et un destin, pour s'accorder sur des savoirs et aller de l'avant ensemble...). Interroger les conditions sociales et administratives de production de l'activité scientifique, c'est aussi interroger la valeur humaine d'un système que l'on souhaite universel. Il faudrait alors commencer par décrire très candidement des pratiques, sans nécessairement les dénoncer, juste les décrire, prendre note, montrer, sans chercher à démontrer donc sans généraliser, publier les approximations, les absurdités, les dysfonctionnements, partager l'anecdotique, plutôt que de le conserver jalousement au sein d'un petit cercle d'initiés. Il faudrait attendre, peut-être pas longtemps, qu'à force de détails un dessin apparaisse : des figures de personnel de recherche précaires ou pas (de plus en plus des pas précaires ?) ressemblant à des clowns, des scènes d'établissement d'enseignement supérieur et de recherche (de plus en plus ?) apparentées à celles du cirque, et ce, dans un environnement de plus en plus déterminé et justifié par la science et ces applications.




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