lundi 18 février 2013

Bébêtes #6

©Territoires visuels

Survissim reptilo-fourchu

Animal de la famille des mille-pattes ayant survécu au cataclysme de la première évolution en substituant des défenses pyramidales à ses jambes originelles. Il siffle des secrets comme une sirène des sables. Il souffle le désir et essuie la cécité sans assumer la suite. En susurrant la chute, il sait soumettre les serfs aux sillons, les siècles à la souffrance, les sexes à s'excuser de soi. S'il serpente en sous-sol sous tous les sangs versés, il sent la sueur du soufre et sent les vents tournés. Sa honte a renforcé sa nature.

Bébêtes #7

©Territoires visuels

Webbus culturae 5.02



Dernière version connue de l'araignée commune. Cet animal tisse des toiles en fil de chacun ou de soi. Il se nourrit goulûment des oublis piégés dans ces mailles. Il dévore toutes les versions précédentes, les épreuves du temps, les boîtes noires, les traces, les indices. Il les rapièce et les récite à la manière d'une brodeuse. Il recoud les transformations chacune sur leur fondement, les hasards sur leurs mélodies mathématiques, et dessinent des horizons nouveaux qui ressemblent à la pureté des sources. Les webbus culturae sont particulièrement grégaires, se multiplient au plus vite au détriment de toutes les autres espèces. Ils comptent sur l'infinitude des territoires qu'ils ont défrichés. Ils comptent survivre éternellement grâce à la manne des oublis du passé, mais surtout, et essentiellement de l'oubli glacé du monde à venir qu'ils cultivent résolument.

Bébêtes #5

©Territoires visuels

Dracus Psychoticus (Pô du Drac) – Photo d'un détail.

Animal de la famille des potophores ou aquaphores. Son corps est entièrement recouvert d'une peau à écumer faites d'écailles extrêmement abrasives. Il est doté d'un squelette, le plus souvent concentré dans la partie caudale entièrement constitué d'eaux solidifiées et qui peut atteindre des proportions massives. La partie antérieure s'appuie sur un cartilage liquide, qui se renouvelle sans cesse et se déroule à la manière d'un film. Cette propriété cinétique assure à la fois une robustesse suffisante, ainsi qu'une très grande souplesse de forme et de déplacement. La bouche de l'animal est remarquable, souvent de forme large et très évasée, elle n'a aucune fonction alimentaire, mais embrasse seulement une vocation généreuse. Riche d'une chimie sédimentaire luxuriante, elle semble raconter à qui veut l'entendre l'épopée de civilisations florissantes. Cet animal d'apparence paisible qui vit au fond des vallées n'est pas pour autant inoffensif. Il se nourrit exclusivement de cailloux et de rocher qu'il trouve à profusion dans son lit. Les écailles disposées sur l'ensemble de son corps lui permettent d'araser sa couche tout en paressant et en miroitant au soleil. Mais les Dracus Psychotus comme tous les membres de cette espèce ont gardé au fond d'eux-mêmes le souvenir douloureux de la disparition de la première évolution. Ainsi leur sommeil s'agite, et les soubresauts de leur inconscient font disjoncter leurs humeurs lascives. L'instinct destructeur de leur cauchemar récurrents retournent et broient des montagnes. Les histoires d'angoisse de manquer alors qu'on est dans l’opulence, les terreurs provoquées par le risque de l'entrave alors que les flots s'écoulent du haut vers le bas depuis la nuit des temps, l'impossible expression du syndrome bien réel de la non-verticalité, interdisant de remonter le cours du temps ou de montrer d'un doigt les failles du temps qui lasse, marquent l'empreinte furieuse de cet animal fascinant.

Bébêtes #4

©Territoires visuels

Erectum digitalis

Famille des proto-gratteurs, espèce des zoo-dactyles, embranchement des villes guiliis guilis.
Fossile de la première évolution conservé dans dans une vapeur de cobalt. Cet animal pouvait atteindre une taille gigantesque. Son corps développait à profusion des doigts plus ou moins longs, tous pointés vers le ciel, d'une façon en apparence totalement anarchique. Cet animal vivait exclusivement sous serre et sous perfusion d'hydrocarbures. Les naturalistes suggèrent que ses phalanges en excroissance compensaient une confusion langagière intra-organique causée par l'excès des graisses minérales dont l'animal assoiffé se délectait. Ainsi les doigts se multiplièrent-ils pour désigner une menace. On repère les nombreux pouces qui implorent une pause ou un fantasme de mobilité, les nombreux index qui indiquent le lieu du désastre annoncé, les majeurs qui provoquent et insultent le destin, les annulaires qui se distinguent et prient pour leur salut, les auriculaires qui cherchent à pactiser avec des prétendus envahisseurs venus d'ailleurs. On ignore encore aujourd'hui pourquoi la serre s'est effondrée et a anéanti cette première évolution. Les fossiles énigmatiques, tels que celui-ci ne nous permettent pas encore de comprendre ces espèces zoo-dactyles.

samedi 16 février 2013

Bébête #3

©Territoires visuels

Hierogaminaes bullae

Famille des chamanidés,  espèce de pont (toi-même), embranchement des embranchements.
Séparateur générique à deux boules de gestation. Laisse s'échapper des reflets d'Ordres . Publie des Êtres désirés et d'autres redoutables. Toujours immobile, il pousse précisément au Centre des Multivers. Fabrique des œufs à l'étouffé, selon la méthode germinale des jumelages entre les dimensions, les matières, les catégories et les intentions. Se nourrit de la sève des cœurs planétaires, et aspire les paradis oubliés des éthers galactiques.

Bébête #2

©Territoires visuels

Fibroptica onirica Originae (Ex Génesius)

Famille des yeux, espèce de Temps perdus, embranchement des Edens originaux.
Kystes d'observation, absorbeur de temps et d'esprits. Ils coexistent toujours en groupe, agglutinés les uns aux autres, mais chacun chez soi. Ils regardent tout en se racontant, mais ne voient pas, n'entendent pas. Ils imaginent et créent leur propre destin. Se nourrissent des désirs d'Être. Se reproduisent jusqu'au Néant.

vendredi 15 février 2013

Bébête #1

©Territoires visuels

Espiritellus sancti unus

Sans famille, sans espèce, sans origine.
Esprit de surfaces, en forme de casque de Möbius, vif comme la lumière, il unit les stratosphères du ciel aux profondeurs des terres.
A l'ombre, il se rend invisible, à l’affût, chasseur de la moindre lueur, il se fait apparaître de partout et de nulle part.
Il coexiste toujours en doubles opposés sur les deux parois de la surface. Il se projette volontiers ailleurs en triple, en quadruple, en quintuple en multitude dès que s'entrouvrent les portes des temps. Il était, il sera, mais ne parvient jamais vraiment à Être. Son Être est exclu de toute logique.

vendredi 8 février 2013

Le ballon-point




Le ballon-point est une infrastructure novatrice dans le domaine des transports et de la sécurité aérienne. Mis au point et développé au début du 21ème siècle par l'équipe de football d'un grand terminal informatique, le Ballon-point  constitue aujourd'hui l'avancée la plus significative et incontournable pour fluidifier le trafic d'altitude qui ne cesse de croître en tendance comme en quantité. La généralisation de cette technologie devrait permettre dans les années à venir d'endiguer l'anarchie cyclonique qui sévit encore dans le ciel aux croisements des grands couloirs d'aiguillage.  Le recours nécessaire à des acrobaties ou à des tourbillons de haut vol devraient se raréfier, et le soulagement de ces entonnoirs de ligne s'effectuer dans la plus grande sérénité.

L'idée est venue tout simplement de l'observation d'un rond-point routier depuis la tour de contrôle d'un aéroport. Mais comment transposer ce système terrestre aux plus hauts des cieux ? Comment hisser des ronds-points et les maintenir aux bonnes coordonnées ? Comment fixer durablement dans l'air des aménagements aussi lourds ? La modélisation du projet a fourni les réponses à ces problème en apparence insolubles, et plus encore a permis de démontrer l'indéniable adéquation de ce système à l'avionique en général.

Pour pouvoir faire fonctionner un ballon-point n'importe où au dessus de nos têtes, la solution technique la plus appropriée impose la conception d'un support immatériel, totalement virtuel mais intégralement visible par le système de navigation des avions, par les pilotes, par les équipages, par les passagers. La difficulté réside alors, dans la nécessité d'envisager des superficies à l'échelle des gros porteurs, ce qui revient à calculer des surfaces de contournement aussi vastes que celles de villes comme Paris. Mais avec un avantage indéniable sur le modèle terrestre, car en profitant d'une troisième dimension routière, la modélisation permet d'assimiler le ballon-point à une sphère, et d'admettre ainsi un nombre infini de trajectoires possibles pour les aéroplanes.

Les premiers tests ont été effectués il y a quelques années maintenant et donnent suffisamment de recul pour annoncer que les investissements dans ce secteur vont exploser à court, moyen et long terme. En effet, après une première phase de scepticisme, due notamment au gigantisme des installations nécessaires - il a très vite été déterminé que l'efficacité du ballon-point dépendait de son volume, et que ce dernier devait croître d'un facteur cubique rapporté à la croissance du trafic -, le projet a pris une impulsion nouvelle suite à la mise en place d'un modèle économique original et convaincant, suite au perspectives immenses offertes par la miniaturisation des surfaces.

Très rapidement l’inquiétude d'un encombrement du ciel par le déploiement tous azimuts du ballons-point a très nettement dégonflé l'enthousiasme général pourtant corroboré par des statistiques d'efficacité très édifiantes. En effet, là où les installations ont pu être réalisées, on a constaté, depuis la dernière collision aérienne, une réduction drastique de près de 100% du problème. Des chiffres prometteurs, mais le gain dans l'amélioration de la sécurité n'a pas convaincu, tant le coût de la mise en œuvre est apparu prohibitif. 

Certains intérêts scientifiques ont envisagé que ces infrastructures pouvaient aussi jouer un rôle pour ralentir le réchauffement climatique en réfléchissant les rayons du soleil. Mais les expériences n'ont jamais été concluantes. Seule une petite équipe de techniciens, épaulée par quelques business angels audacieux ont persévéré. Ils ont su relancer le projet en s'appuyant sur un business plan très pragmatique. 

Afin de pérenniser le développement des ballons-points, ils ont imaginé de valoriser les terrains gagnés sur le vide, et de vendre ces nouveaux espaces à des annonceurs. La promesse de consommateurs captifs, désœuvrés et  forcément captivés par ces bulles directionnelles qui se dégagent comme par magie des nuages, et accessoirement massent les passagers contre les hublots, a construit le succès de l'entreprise : paysages de vignobles à perte de vue reconstitués, reproduction de pays entiers, simulation de civilisations disparues, répliques de grandes métropoles, imitations de complexes industriels en pleine production, coffres forts de banques garnis d'or et de devises, bouteilles d'alcool géantes déguisées en sirènes, panneaux publicitaires démesurés, effigies de dictateurs gonflés de rage et d'orgueil... Seules les limites de l'imagination semblaient en mesure de borner le volume offert par chaque ballon-point. L'engouement général a dès lors attiré de nouveau investisseurs : fonds de pension, fonds souverains. Si bien, qu'on a pu craindre que l'appel d'air provoqué par le déplacement d'une telle manne financière, remplisse tellement le ciel qu'il le rende impraticable à toute navigation. 

Avant que le projet ne s'effondre sous son propre poids, il est alors devenu prioritaire et urgent de mettre au point des procédés innovants afin de réduire l'encombrement des installations sans pour autant en réduire le volume. Les équipes de recherche convoquées d'urgence à grands renforts de surprimes exceptionnelles, n'ont pas tardé à obtenir des résultats, au delà des attentes de leurs commanditaires. Il est aujourd'hui communément admis que pour les besoins du trafic aérien le volume du ballon-point peut être miniaturisé jusqu'à des dimensions de l'ordre du nanomètre-cube, invisible à l’œil nu, et d'un encombrement quasiment négligeable. A ce jour, ces valeurs infinitésimales ne sont pas encore atteintes, car la technologie dédiée aux hublots télescopique ne parvient pas à donner suffisamment de visibilité à des nano-ballons-points. Les enjeux d'avenir résident en totalité dans ces nouvelles technologies télescopiques, capables de réguler la croissance rapide de la demande de volumes, à la nécessaire limitation de l'encombrement. Le marché est en très forte croissance et les perspectives sont très positives. Alors que la télescopie progresse, multipliant les possibilité d'installation de nouveaux ballons-points, le fort développement des voyages dans l'espace laisse présager un avenir prometteur pour de futurs aménagements adaptés aux immensités sidérales. Pour les transports terrestres la transformation des ronds-points en ballons-points qui encombrent beaucoup moins l'espace public, tout en rendant autant de services, est en cours d'expérimentation. 




lundi 4 février 2013

la question de la langue à l'époque de Google

Cette présentation que fait Fredéric Kaplan à propos de la créolisation de la langue liée à son traitement industriel par la lecture et l'écriture est très instructive. Elle rappelle l'énorme puissance sous-tendue par le développement des technologies de l'information, les enjeux colossaux qui font courir les firmes du secteur, et l'impressionnante modification que ces nouveaux services font subir à nos rapports à l'information, à nos identités, à la culture au sens large. Plusieurs centaines de millier d'e-book seraient déjà rédiger par des robots, ces derniers résument à leur façon nos récits, "lisent" pour d'autres robots, qui classent, catégorisent, comprennent ou déclinent, et ré-écrivent. Sans forcément nous en rendre compte, petit à petit alors que les machines apprennent à déchiffrer notre langage, nous leur concédons de plus en plus de capacités d'expression, de correction, de formulation, de présentation. Il se produit comme une colonisation de l'esprit, comme si la mise en forme automatique, valait plus que la forme et le fond de la parole de chacun. La machine nous impose sa manière de partager avec les autres, d'échanger, de transmettre. Elle se présente comme neutre, voire comme une source de créativité, ce qui est relativement vrai dans l'absolu. Dans la pratique, c'est bien de plus en plus une machine qui a la réponse à chacune des questions qu'elle nous propose de formuler. La machine façonne son univers. Et pour l'essentiel, nous sommes cet univers...
La question de la langue à l'époque Google