lundi 30 septembre 2013

Auto-Auteur revient sur le rapport : La dynamique d'internet


Biens-Communs : bonjour, l'Auto-Auteur ! Vous avez souhaité réagir après la publication du rapport la dynamique d'internet, prospective 2030, remis récemment au gouvernement...

Auto-Auteur : C'est exact car on en a retenu surtout cette photo : le président qui joue avec le petit robot qui accompagnait le rapport...

BC : Selon vous que dit cette photo ?

AA : Elle dit concrètement : "bienvenue à la future armée d'occupation ! Réserver un bon accueil à l'occupant, certes droïde, Américain, Japonnais, Chinois... Ils sont gentils, ils viennent vous aider à devenir plus civilisés..." Enfin, je me contente d'interpréter ce que dit ce rapport ! En gros, en industrie internet les Européens sont super nuls. Ils sont encore bons dans la production industrielle de biens classiques (par exemple les sociétés du CAC40 qui semblent en bonne santé et font de beaux bénéfices), mais ces industries ne se sont pas préparées à la révolution numérique en cours, au Web 3.0, à l'internet des objets connectés. Donc on va faire fissa pour rattraper le retard tous azimuts, prier tous les saints de l'innovation, et espérer qu'on veuille bien nous attendre.

BC : Vous y allez un peu fort avec la référence à l'occupation ?

AA : Il s'agit de l'occupation de notre temps. Notre temps d'Européen. Notre temps, c'est le temps qui passe mais, c'est aussi autre chose qui d'après moi a plus de valeur. C'est le temps d'internet, un temps qui n'a ni passé, ni présent, ni futur, un temps qu'on devrait prendre la peine de beaucoup mieux étudier. La colonisation ne s'effectue pas pour s'approprier des ressources territoriales. L'Europe n'est pas la mieux pourvue en ressources naturelles. Il s'agit plutôt de s'accaparer notre insouciance, nos évidences. En d'autres mots, notre culture, notre expérience...

BC : Et pour vous on ne comblera pas le retard ?

AA : Oh si ! Le retard sera vite rattrapé. Mais entre temps les enjeux se seront radicalement déplacés. On pourra être fier de nos robots bien de chez nous, plus intelligents, plus sophistiqués que ceux qui viennent d'ailleurs (cocorico). Mais ces robots qui apprennent de nous, ils apprennent vite, puisent sans fin dans le stock de nos évidences et de notre insouciance : car la valeur est bien là dedans, en référence aux résultats de Google ou Facebook. Ce n'est pas la numérisation des articles scientifiques qui rapporte de l'argent, mais le traitement des traces de vie triviale sur le web.
Le "made in France" n'est déjà plus une indication sur un lieu de production ou même d'assemblage. On produit, on assemble dans les nuages. C'est déjà l'information qui fabrique. L'information cherche déjà à définir une sorte de génie Français en matière de production industrielle, un label. Pas la peine de trop s'astiquer le bulbe, ça veut dire que le génie Français est simplement devenu une catégorie du système d'information, avec des caractéristiques particulières, des procédures qu'il s'agit de mettre en œuvre.
Pour être Français, ou Européen il faudra se rapprocher du modèle proposé par l'information, imiter ce modèle inspiré par ce qu'on aura appris de nous aux robots. Le système et le soucis constant de nos comportements vont servir à définir nos appartenance territoriales et pourquoi pas fiscales. Les Milliardaires ne cessent de nous inciter par l'exemple à une sorte de fiscalité philanthropique. Chacun choisit son association, son soutien à telle ou telle action, plutôt que de financer les États qui gaspillent.
Non, n'ayez crainte ça ne fait, et ne fera pas mal, ça se passe tout en douceur, et les systèmes sont particulièrement plastiques, fluides, nuancés. Ils travaillent sans relâche à intégrer notre flou existentiel, nos contradictions, nos subtilités. Le système va devenir un miroir comportemental obsédant dans lequel on contemplera les efforts qu'il est nécessaire de faire pour devenir soi-même.

BC : Vous nous faites peur quand même...

AA : Ben pourquoi ? Ça vous fait peur de devoir ressembler à un Français calculé mathématiquement et extrapolé de big data objectives et incontestables : "la France on l'aime ou on la quitte !" En tout cas, si vous ne souhaitez pas ressembler au Français moyen différencié ! Et de toutes les façons vous pourrez toujours choisir d'être autre chose même en vivant sur le territoire national : une sorte de colonisation par le choix. Des choix il y en aura autant que des nombres dans l'ensemble des réels. Le souci n'est pas la liberté, mais la valeur : évidemment la valeur de soi-même !
Je reviens au rapport remis au gouvernement. L'autorité de l’État est sapée par le développement sur une période d'à peine 20 ans d'un objet technologique de communication qu'on appelle l'internet et que nos dirigeants ont le plus grand mal à comprendre ; mais nous aussi on a du mal, mais nous on n'est pas payer pour ça. Cet objet est géré par ses utilisateurs, mais plutôt Américains, par des grandes firmes exclusivement Américaines, et on ne sait pas trop, on ne veut pas trop le dire, par l’État Américain lui-même, ou bien ce sont les firmes internet qui seraient en train d'absorber l’État US.
Et de toutes les manières on s'en fiche, parce que comme le fait remarquer Alain Touraine qui vient de sortir un livre fort à propos, la société qu'on confondait souvent avec la nation, le pays, etc, ça commence à ne plus exister, tout bonnement à disparaître. Donc il reste bien des gens mais plus de territoire société qui s'imposent aux individus comme dirait Durkheim. Plus d’État, plus de société, ça veut quand même dire, plus vraiment de loi, plus vraiment de monnaie, plus vraiment de garanties collectives...
Alors il resterait les gens comme ultime valeur. Google qui semble l'avoir bien compris, a pour projet de réaliser ce qu'aucun état n'a jamais oser faire : vendre de la vie aux gens en leur promettant l'immortalité ! Si ! Si ! C'est sérieux. voir ici. Et que c'est beau la vie quand on pense différent, qu'on a une banque à qui parler, le bon sens dans sa boîte mail...
La société des sociologues elle est où ? Elle est dans le système d'information. C'est la société dans le système d'information qui détermine de plus en plus les comportements des individus. Mais là je m'égare, comme à chaque fois, je reviens sur Bruno Latour.

BC : Bon, moi aussi je commence à être fatigué, je vous propose de reprendre cette discussion passionnante un peu plus tard... Vous vouliez ajouter quelque chose ?

AA : Oui, je voulais encore dire que les gens, surtout ça partage, ça ne sait pas vraiment faire autrement et ajouter que c'est ce partage qui a une valeur, en tout cas, que c'est ce partage qui aujourd'hui rapporte beaucoup d'argent aux sociétés internet. Aussi je voulais souligner l'effort pédagogique des auteurs pour décrire en introduction, l'histoire technique et les caractéristiques d'internet. Simple, clair, utile et précis.


lundi 23 septembre 2013

Le Débit Industriel








Je suis rattaché au Débit Industriel, c'est ma banque de souche.

Il y a bien longtemps maintenant, ma banque en personne, m'a appelé au téléphone, chez moi, un samedi matin. Une dame m'a demandé très poliment quand je serais disponible pour rencontrer mon conseiller financier ; car j'en avais un ! Je ne le connaissais pas, j'ai demandé à la dame pour quoi faire, elle m'a dit, justement pour faire sa connaissance et puis faire le point avec lui.

Bon ! Je prends donc un rendez-vous avec lui, et je m'y rends, bien sapé, rasé de près, fringant comme pour toutes les premières fois. Mon conseiller financier ; un jeune type. Il a l'air dynamique, plutôt sympa. Première question ; « Pourquoi vous avez pris rendez-vous ? « Je ne sais pas, c'est le Débit Industriel qui m'a dit, qui m'a convoqué en quelque sorte. » Il a sourit :

- Nous allons faire le point ensemble alors ?
- Oui, c'est ça !

Le point, en gros, c'est RAS, rien de particulier à signaler, mais toutefois, il y a un bémol : une totale absence de prévoyance et d'anticipation de l'avenir.

- Vous avez des projets, achat d'une voiture, électroménager, Hi-fi, aspirateur, télévision... Autre ?
- Je ne sais pas. Bof !
- Vous pourriez en avoir ! Nous avons une cagnotte pour vous ! Un prêt illico pour toutes vos envies.
Si ce n'est pas la classe ça ?

- Bof ! J'achète d'occas', c'est bien non ?
- Bon ! On pourrait voir sur du plus long terme : la retraite ! Vous savez que vous cotisez pour les retraités d'aujourd'hui, et que pour vous, dans trente ou quarante ans il ne restera plus grand chose. Pour 2020, on vous garantit un cache sexe et rien de plus ! En 2020, ce ne sera plus que ce modeste morceau de tissu qui fera la dignité des vieux. Alors je vous conseille d'y réfléchir dès maintenant. ; c'est le bon moment.
- Ah oui ! Bof...
- Mais si ! Vous devriez souscrire un PERP : un Plan Epargne Retraite Prévoyance. Vous payez des impôts ?
- Pas tant que ça.
- Vous ne payez pas encore beaucoup d'impôts, mai ça viendra. Un PERP, c'est magique ! Vous ne payez plus d'impôts et vous avez droit à un T-shirt Débit Industriel pour votre retraite, avec un aller simple pour l'île de vos rêves. Vous commencez à 50 Euro par mois, et après vous ajoutez, selon, comme cela au fil du temps. Et vous bénéficiez à la fin d'une parfaite panoplie de retraité heureux, avec croisière, thé dansant, gueuletons, jardinage, la formule complète...
- Petites pépées aussi ?
- Et pourquoi pas ? Si vous y mettez le prix.
A moi, le PERP me faisait trop penser à Jean Pierre Raffarin, le premier ministre et grand commercial du PERP. Et Raffarin à l'époque, je ne l'appréciais pas trop.

- Si vous n'investissez pas les 50 Euros dans le PERP, qu'est-ce que vous allez en faire ? Ils vont moisir sur votre compte courant ?

Je le regarde hagard, car je ne sais pas trop quoi répondre, il continue :

- Vous savez, l'argent aigrit. Conservé n'importe comment, il se réduit, se recroqueville comme une peau de chagrin. L'argent vieillit mal au fonds de votre compte ordinaire.
- Que dieu préserve !
- Pour vous... Ce qui convient... C'est le Plan Atout Verdure Horizon. Ce n'est pas un PERP, c'est autre chose, une bourse qui gonfle, je n'aurai pas le temps de vous l'expliquer. Vous mettez 50 Euro une fois par mois. Pognon revigoré garanti ! Alors création d'un compte titres. C'est fait. Et signez là. Attendez, ça c'est pour moi ! Signez aussi là pour dire au juge que je ne vous ai pas fait mal.

Atout Verdure Horizon pour le même prix qu'un abonnement à PIF Gadget ! Une affaire !

Vrai aussi qu'on ne s'abonne pas tous les mois à un magazine.
Un détail. Je sentais qu'avec mon nouveau compte titres, j'accédais à un nouvel état. Je me sentais plus en phase avec le monde autour de moi qui avait tellement, et si vite changé.

Fini les plaisirs collectivistes, adieu la populaces à gadgets, les élevages de poids sauteurs ou d'animaux préhistoriques en kolkhoze, bienvenu aux success strories, aux paillettes dorées, au pognon qui s'enfle du plaisir d'être cajolé comme un titre original. De la création de monnaie. Les délices de l'élevage de fraiche . Tous cela pour à peine 50 Euros par mois. Le pied !

Atout Verdure Horizon, au départ, le nom du titre m'avait paru plutôt ringard. En y réfléchissant, il y avait un jeu sur les mots mais pas des plus fins. Je ressentais mes titres comme les symboles de la propérité. Atout : les tarots de la destinée. Verdure : la couleur de la campagne, la couleur du dollar et du bon sens. Horizon : la rencontre du ciel et de l'océan. Pour dire vrai, avec mon esprit encore populo-industriel, j'avais aussi pensé à une voiture des années 70 : La Simca Horizon. Avec ma Simca, moi je suis sur la route à fond les manettes, j'amasse la caillasse et je me casse à Dallas.

Les résultats ont de suite étaient fabuleux. La banque m'adressait régulièrement un courrier pour m'avertir qu'Atout Verdure Horizon avait tout cassé : la mer de thunes avait crevé le plafond, traversé le ciel et visait maintenant le soleil. Mais à force de monter toujours plus haut, mon abonnement à 50 Euros ne me donnait tous les mois que de moins en moins d'Atouts, qui de mois en mois devenaient plus chers et plus précieux. Mais moi, je ne faisais pas cas. J'aimais lire ce bonheur qui transpirait des lettres de performance. Je restait toujours dans la partie.

Mais un couac est survenu. Je l'ai découvert sur un relevé de compte. Paf ! Un découvert ! A peine quelques jours : une cinquantaine d'Euro. Pas à cause d'Atout Verdure Horizon. Mais la correspondance des montants ! La colère de m'être ainsi fait prendre ! Font que j'ai mis la faute là où cela m'arrangeait le mieux.

Découvert ! Aggio ! Frais de dossier ! Ça prend aux tripes. Et coïncidence la dame du Débit Industriel m'appelle pour un nouveau rendez-vous pour faire le point, comme il est d'usage dans cet établissement.

J'y fonce, bille en tête de négocier ces lamentables frais de dossier, Une trentaine d'Euro quand même, pour une inadvertance de quelques jours. Mince ! En plus avec toute ma richesse Atout Verdure Horizon, ils ne pouvaient pas me faire cela à moi : leur client ! Pourquoi pas interdit bancaire tant qu'ils y étaient ?

Je me pointe donc à l'agence. Le conseiller a changé. C'est maintenant une jeune fille. Il faut dire qu'entre temps, moi j'ai vieilli. Même question : « qu'est-ce qui vous amène ? » J'ai mon relevé de compte, mon découvert et j'attaque. Ma conseillère n'est pas bien grande de l'autre côté du bureau. Elle écoute, clique sur sa souris, de temps en temps regarde un peu plus attentivement l'écran de son ordinateur. « Alors vous me les remboursez ces 30 Euro ? », que je lui intime sans prêchi-prêcha !  «  Pas possible ! Le système... La convention Européenne, la loi sur la concurrence..., et les Chinois à l'autre bout du monde. Que penseront-ils de nous si nous vous remboursons ? Ils pourraient eux aussi réclamer leurs dus, et leurs dus sont multipliés par leur très grand nombre... »

Ma conseillère était petite de taille, mais subitement elle semblait avoir doublé de volume. Elle me proposait une solution à la radicale, un service qui permettait d'éviter que cette situation ne survienne à nouveau. 10 ou 15 Euro par mois seulement, selon la formule « luxe » ou « ultra luxe », et tous les découverts à venir passeraient comme une lettre à la poste. Même les Chinois n'en seraient pas avisés. Pas de chinoiserie, pas de bogue numérique, pas de chichi. Le service idéalement conçu pour des les gens qui savent vivre. Il faut savoir vivre sans trop regarder. Trop regardant ! Gare à ne pas dépenser au moins un œil ! Mince ! Pas si commode la gadji ! Insister, implorer face à elle, ne servait à rien. Tout était dit. Tout était dans l'ordinateur, comme à Pôle Emploi. La messe était dite et elle avait sûrement noté sur un fichier secret : client casse-pieds à prendre avec des pincettes. Et client qui de plus ne rapporte rien chez nous depuis longtemps : ne rapporte plus rien depuis longtemps (surligné plusieurs fois).

- Alors au revoir !
- Au plaisir et n'hésitez pas à me contacter au moindre problème...
- Je n'y manquerai pas.
- Et si vous avez un projet. Vous avez un projet ? Une voiture, de l'électroménager, Hi-fi, n'importe quoi ?
- Bof !
- Jusqu'à 3000 Euro. Alors n'hésitez pas.
- Adieu !

Qu'une envie, quitter cette banque. Pour toujours. Fâché qu'on m'ait mis une débutante comme conseillère. Même pas elle m'a remboursé ces trente Euros. Elle n'a même pas parlé d'Atout Verdure Horizon. Rien. Dorénavant le Débit Industriel restera ma banque, mais seulement ma banque en ligne directe. Plus question de profiter du réseau de proximité. Pas besoin de leurs conseils, besoin de rien.

Quelques temps ou peut-être même années plus tard, j'ai vu durant l'après-midi qu'à la télévision ils avaient rappelé Jean Pierre Gaillard du tréfonds de sa retraite. Sur les plateaux l'agitation était à son comble. Il semblait être en train de se passer des choses graves. Un jeune journaliste essayait de meubler, l'air inquiet, tout en jetant un œil sur son écran de contrôle.

- Qu'est-ce que vous nous conseillez Jean Pierre ?
- Euh ! C'est à dire que... ! Vous me connaissez ! Toujours plein d'allant. Mais aujourd'hui, comment dire ? Il ne faudrait pas que je sois mal compris... Ou alors !
- Mais vous qui avez connu la crise de 1929, comment cela s'est-il passé à l'époque ?
- C'est à dire que j'étais très jeune... Et la télévision n'existait pas encore...
- Mais qu'auriez vous conseillé en 1929 ?
- Ah ! Je ne sais pas ! J'aurais pu dire : « dégagez des bancaires, des industrielles des cycliques, des matières premières, des monétaires ! Dégagez et mettez tout sur la soupe populaire, vous serez tranquilles au moins jusqu'à la date limite de consommation, sinon les pâtes, le riz, c'est bien aussi, pensez aussi au topinambour pour garder un espoir d'être pénard jusqu'à la fin de la guerre... Mais j'étais trop jeune ! Je ne peux pas me rappeler. Et je ne dis surtout pas que c'est ce qu'il faut faire aujourd'hui !
 J'ai décroché mon téléphone immédiatement, appelé le numéro vert, composé les huit chiffres de mon code confidentiel, confirmé mon numéro de compte, ma date de naissance, répondu à ma question secrète, joué la mélodie de mes vingt ans avec la touche étoile de l'appareil, et réussi à joindre mon trader personnel : du moins, sa silhouette immatérielle planquée quelque part dans le monde, en costume trois pièces, chaussures cuir pointues et doigts d'ange pour faire passer des milliards dans du velours et sans faire crisser les billets. Je me suis demandé où est-ce qu'il pouvait être : à Paris, New York, Londres, à Francfort. Je n'ai pas pris le temps de le lui demander. J'étais au comble de l'excitation. Et j'ai crié dans le combiné :

- Vendez tous !
- Tout d'un seul coup ? Vous allez faire baisser les cours. Vous devriez vendre par morceaux.
- Vendez tout, c'est un ordre !
- Bien ! Monsieur. Cela sera fait.

J'ai vivement raccroché, retournant voir le ramdam des experts, des invités, des spécialistes sur les plateaux de télévision.

Je vous assure que je ne le savais pas. Car mon trader personnel spécialement mandaté pour le Débit Industriel était ce jour-là en poste à Singapour. Et là-bas lorsque j'ai passé l'ordre, c'était déjà demain. Et quand on connaît déjà le lendemain le jour même et même depuis la veille , on a tendance à spéculer. Et c'est quand ils ont tous compris qu'il fallait craindre que mon ordre ne déclenche une chute des cours pour le lendemain, qui pour eux était aujourd'hui, qu'ils ont tous craqué en même temps, avec les conséquences économiques catastrophiques que l'on connaît.

Durant un court instant les techniciens de la télévision ont cru que c'était enfin arrivé. On a vu défilé l'autogestion, le nouveau bénévolat, le revenu universel passif, le troc à grande échelle, la monnaie de sel, et puis les hommes d'affaires qui se jettent par la fenêtre de leur gratte ciel, et des foules massées contre les guichets des agences bancaires comme s'il s'agissait de la dernière chaloupe du Titanic, et des chemises brunes, et une grande désolation, des pyjamas d'extermination, des bombes atomiques...

Alors un grand black Américain est arrivé pour tenter de remettre un peu d'ordre dans ce chaos. La tribu des blancs et assimilés, se tenait sagement derrière lui, la mine décomposée. Chacun était accroché à la manche de son voisin pour se donner contenance. Et le grand black a dit : « Je rachète tout ! C'est moi qui rince ! » La clochette à tintinnabulé de joie, tellement le nombre de super-tanker remplis à raz bord de pognon qu'il présentait au monde paraissait insondable. Ouf ! J'ai pu enfin éteindre la télévision et vaquer à mes saines occupations. Mais que d'émotions !

Un peu plus tard on a fait le debrief sur toutes les chaîne et pendant longtemps. Il y avait un jeune type, l'air de s'y connaître à fond en matière de fric. Il semblait avoir refait trente six fois ses calculs avant de les exposer. Il disait que 800 000 milliards de dollars avait disparu en quelque minutes. Mais où sont-ils allés ? Il a expliqué des histoires d'engrenage et de bras de levier. D'autres ont voulu expliquer que les 800 0000 milliards avaient disparus car il n'existait pas, comme des faux, du factice, des fétiches, qu'ils étaient, mais sans exister ! Mais que c'était-il donc passé ? Une nano-fissure dans le coffre-fort serait la responsable du désastre. Tout l'argent y aurait été aspiré, happé par l'infiniment petit qui recèle des propriétés tellement étonnantes. Je pensais un peu honteux à mes Atout Verdure Horizon.

Les milliards, on allait quand même les chercher, les retrouver, tous ces biftons, ils avaient dû laisser les traces ? Alors là, c'était la théorie du dentifrice, qui une fois sorti, était tellement difficile à remettre dans le tube. Toute cette monnaie cassée en une infinité de petits morceaux, c'était peine perdu de vouloir la recoller avec du scotch. Qu'est-ce qu'on allait retrouver d ans les filets des pécheurs d'oseille ? Que des miettes. La tâche était impossible. Le gros des milliards filerait toujours à travers les mailles du chalut, aussi fines soient-elles. Il s'agirait d'un phénomène qui s'appelle l'entropie, à ne pas confondre avec la philanthropie. La philanthropie s'était déjà barré bien avant. Elle s'était fait la belle par le trou de la couche d'ozone. Un coup d'aérosol en trop et la philanthropie pchit, pchit ! Dans la stratosphère, plus rien à voir, plus rien à donner, plus de main tendu : tu raques ou tu crèves !

Alors les gars, franchement, excusez-moi, je ne savais pas que ça se passerait comme ça. Personne ne m'avait vraiment prévenu. Mais c'est mon découvert au Crédit Industriel ! C'est ça qui m'a vraiment énervé ! Je suis désolé.



dimanche 22 septembre 2013

Pneumatique



Elle :

"Le tube de cet été là me rendait complètement folle. Ca faisait genre autopsie, un peu police scientifique, tueur en série : que du glauque. Du glauque, qui malgré tout, stimulait sacrément mes hormones. Ça faisait comme ça, j’étais carrément folle de cette chanson.

« J’aime les femmes longues un peu désarticulées
J’aime les femmes longues aux yeux de poupée
Qui s’ouvrent et qui se ferment
Qui mouillent et qui se fixent... »

Il faisait soir, j’avais chanté à perdre haleine et je me sentais naufragée, comme une sirène essoufflée d’avoir vidé toute la surface de tous les océans de toutes les flottes, de tous les bateaux et surtout, de tous les marins. Point de brise, point de bise, point d’étoile, point de gîte, plus qu’à ressasser sac et ressac : un début de nuit aux faux airs d’apocalypse, si un personnage parfaitement répugnant ne m’avait pas abordée. Je revois encore ce crevard avec sa tête de feutre indélébile. J’entends encore sa complainte qui glissait en frissonnant d’espoir sur un bout de feuille de papier glacé, frémissant, me suppliant de le suivre, de le rejoindre. Répugnant personnage... Je ne l’ai pas suivi, car moi je préférais suivre des plans, aller là où on m’indiquait, partir seule, m’expédier moi-même comme un colis. Et la rengaine m’accompagnait toujours :

« J’aime les femmes longues aux doigts mous
Qui cherchent au hasard d’une caresse
Un épi dans leurs cheveux courts
Qui les rend moches et cadavres... »

Et j’ai fini par le retrouver.

Je suis entrée dans un endroit tout en céramique verte. Il y avait un disque jockey en marbre tout au fond de la boite. Je me souvient encore de l’oeil vitreux de la caissière à l’entrée et du videur chromé qui faisait la police. On aurait dit de la vie putréfiée, de la vie qu’on aurait pris soin de dépolir, de mettre sous vide et de figer pour l’éternité. Comme de la mort, quoi ! C’était génial !

Je l’ai tout de suite repéré mon feutre bleu. Il se trémoussait sur la piste, gribouillis acides, gazouillis dysharmoniques, grincements rauques de plumes, comme des craies sur de l’ardoise. C’était l’année des valses guerrières, on poinçonnait le sol comme une machine à tisser des liaisons invisibles. Je crois que c’était ça le concept.

Il m’a repérée et d’un trait m’a rejointe au bar. Des phrases se sont élancées et je les lisais dans son sillage. Il me faisait un peu peur, il était imbibé d’alcool et il empestait la colle à rustine ; j’aimais bien cette odeur. Il me racontait des histoires, des histoires pour me séduire et qui me séduisaient. Il me disait que son âme venait de loin, presque des origines du monde, il me disait qu’il savait reconnaître au parfum si un fruit était bio. Et il y avait cet air qui revenait sans cesse.

« J’aime les femmes longues
Qui ont un regard en plastic glacé
Que chaque choc viole comme un rideau de paupières
Qui rend les ténèbres aussi glaciales que torrides... »

Répugnant personnage, sale type quand j’y repense, qui me racontait qu’il avait fréquenté la guerre, échappé de justesse à des combats bestiaux, qu’il avait lutté corps à corps avec la mort, sauvé sa vie, sauvé des vies... Et tout ça pour en venir au sexe, toujours au sexe, à mon sexe, pour en venir à moi, à mon désir, à mes hormones, à ce tube qui me rendait folle et pour en revenir à lui, stylo feutre bleu, qui s’exhibait droit comme un I.

Drague de stylo, drague de Tarzan, drague d’ivrogne...
Il a continué son numéro et il a parlé de Dieu. J’y croyait aussi tant l’ivresse était chaude. Il disait l’avoir rencontré au vernissage d’une exposition de sculpture... La nuit courrait vite.

A quoi bon discuter, il en va des plaisirs de la narration de se faire prendre pour un autre, ou pour une autre, de mieux s’éprendre de quelqu’un qu’on ne saurait le faire, et de faire dire, pour dire ... Mais la fulgurance de ma pensée m’a éblouie alors si fortement, que j’en ai carrément perdu le fil de mes idées. Une lumière crue et assommante sonnait la fermeture de la boîte de nuit. Et le voilà maintenant à vociférer avec les autres devant le comptoir du bar : « Encore un verre ! Un dernier verre, pour se finir, pour finir mon plan... » Mais tout l’ONYX de la petite boite se convulsait déjà pour se vider de tout son monde. Il était tard, trop tard, tout glissait inexorablement vers la sortie, ombres chassées par la lumière. Les dernières épaves se faisaient traîner jusqu’à la sortie.

Assis par terre dans la rue, mon feutre bleu s’est mis à crier dans la nuit éclaircie du petit matin : « vieilles pommes de terre poreuses que vous êtes ! Il vous sortira des vermicelles par le nez jusqu’aux saints sacrements quand on vous l’aura bourré de coton ! »

Et nous sommes rentrés après la dernière tirade, tout en zigzags, sans une parole. Dans les yeux une vague tristesse, une pensée fanée pour la nuit qui s’achève. Un baiser, qui raisonne comme un coup de fouet, un fond crissant de caresses feutrées comme un papier qu’on froisse, comme une histoire qui se déchire. Il y avait cet air qui revenait toujours par bribes, ce tube mécanique dans les tympans, marteau piqueur dans la ville endormie.

« J’aime les femmes longues qui ont une peau sans teint
Que la lumière transperce et que la nuit suffoque
J’aime ces femmes longues qui ne m’ont... jamais parlé.»
 ;
Il fait jour maintenant. L’autre gît chez-moi dans mon fauteuil rose. Je ne sais pas très bien ce qu’il m’a pris, ou plutôt si, mais non. Je lui ai transpercé le cœur d’un grand coup de stylo plume placé juste au bon endroit. Non, il n’a pas souffert. Ça a été si soudain. Il n’a eu que le temps de se boursoufler d’horreur, avant de se dégonfler dans un long soupir, jusqu’à être aussi mince que son enveloppe en caoutchouc dur. Il se vautre maintenant comme un préservatif géant, au milieu de mes jouets de quand j’étais fillette. Ces yeux sont de plus en plus mélancoliques. Ils fixent ce joli feutre bleu qui finit de raconter son histoire effilée comme une lame de rasoir...


TNj, "Les Rendez Vous de la Sagesse", mai 1990

dimanche 15 septembre 2013

Label Ploum




Par l'intermédiaire de planet libre, je suis tombé sur les articles de Ploum.net, très bien écrits, longs, toujours intéressants, variant de la recension d'articles scientifiques, à la publication de nouvelles, au partage d'expérience... En cette période où l'évolution du Web et d'internet génère tant de déceptions et d'inquiétudes, ça fait plaisir !

C'est toujours étonnant de constater qu'en matière de communication scientifique on trouve plus de contenu sur les sites dédiés aux logiciels libres, sous licence creative commons, que sur des plates formes "officielles" consacrées à la culture scientifique et technique voir industrielle, qui elles sont ostensiblement financées par la ville, le département, la région, l'état, les agences de l'état, etc. A propos des sciences, le contribuable paie non pas de l'information, mais une forme, une enveloppe vide souvent fortement cocaïnée, parce que l'innovation ça va si vite, à laquelle il est invité ou fortement incité à contribuer sous peine de rester à la traîne du mouvement, et pour dire aussi, que leur plate forme sert à quelque chose.

Je suis carrément fasciné par le jargon, i-jargon que ces plates formes déploie. Ces gens là pour dire "passe moi le sel !", ils disent : "PML I-salt v1.0 " parce qu'ils comptent en redemander, le tout suivi par des ©, ®, parce qu'ils ont déposés le décodeur, et trouvent que le sel dans l'ilife c'est toujours amazing ou génial selon, en attendant la suite encore plus géniale : le PML I-payper V1.0 Beta, qu'on attend tous et qui va libérer le piment i-caramba, ustensile techniquement pointu, géniteur de la gloire et du succès pour les connaisseurs...

Une grande idée gratuite d'innovation technologique et scientifique ou d'i-novation (mais le concept est déposé) serait d'inverser la tendance. J'ai trouvé cette interprétation du mythe de la Tour de Babel dans Wikipédia :

"Selon Alexander Hislop, le fondateur de Babylone, Koush, père de Nemrod, s'identifierait à Hermès. Ainsi ce qui caractériserait le régime Babylonien serait la découverte des langages secrets, de l'Hermétisme (ce qui est caché), et ceci dans un but de Pouvoir. Pouvoir fondé sur la confusion des esprits et l'apparition de jargons, c'est-à-dire de langages à double sens compris seulement par les initiés, et au sens profond desquels la masse des humains n'aurait pas accès. Les classes supérieures apparaissent alors qui connaissent les langages secrets (prêtres et nobles guerriers). Babylone est la première des sociétés hiérarchiques et spécialisées, préfigurant toutes les civilisations suivantes avec leurs classes sociales, elle est fondée sur la rétention d'information et donc de la valeur. L'information et la valeur sont thésaurisées (capitalisées) par les classes nobles et sacerdotales. Le gros de la population reçoit une information simplifiée, dénuée d'intérêt, inopérante, destinée à produire une image insensée du monde: la superstition, entretenue par le clergé.
C'est dans cette volonté de promouvoir des langages secrets que réside le pouvoir des classes supérieures, et aussi la cause de la confusion des langages et leur multiplication parmi les peuples. Les humains de Babel (Babylone) trouvent ainsi leur punition dans le système de pouvoir qu'ils ont eux-mêmes inventé."

Alors voilà peut-être pourquoi nos contributions et taxes servent à nous rendre hermétiques à tout contenu, fanatiques du sigle, mais chacun son sigle, amazing du vendredi 13 qui porte bonheur ou d'un autre jour peu importe du moment que c'est génial. Ploum et sa plume planent à contre courant, prennent le temps d'expliciter les clés pour envisager les trucs et astuces, la façon magique dont les pouvoirs, politiques, industriels, culturels, intellectuels utilisent la science pour conserver et reproduire leur domination.