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lundi 21 octobre 2013

Jojo le Maire où ?

Un article récent paru dans internetactu fait état des difficultés actuelles dans le financement des projets urbains.
 "Les acteurs publics et les grands opérateurs urbains n’ont aujourd’hui plus les moyens de faire face seuls à l’ampleur et la complexité des défis urbains. D’autres imaginations, énergies, ressources doivent être mobilisées..."
 La solution envisagée fait appel au crowdfunding, un moyen très efficace de financement :
« Le crowdfunding ou « financement par la foule » est un nouveau mode de financement de projets par le public. Ce mécanisme permet de récolter des fonds – généralement de petits montants – auprès d’un large public en vue de financer un projet artistique (musique, édition, film, etc.) ou entrepreneurial. Il fonctionne le plus souvent via Internet. Les opérations de crowdfunding peuvent être des soutiens d’initiatives de proximité ou des projets défendant certaines valeurs. Elles diffèrent des méthodes de financement traditionnelles et intègrent souvent une forte dimension affective. »
Voilà quelque chose de nouveau qui parait carrément amazing !

- Mais Monsieur le Maire, du coup qu'est-ce que vous allez foutre ?
- Au niveau des communes, le principal objectif est de garder la main, de maîtriser notre action. Il n'est plus supportable d'entendre un maire déclarer, "mais ce n'est pas moi ! C'est l'Europe, c'est l'Etat". Je ressens toujours cette dilution de la responsabilité comme un échec personnel. Nos électeurs méritent mieux et ils nous le font savoir.
- Mais alors concrètement, vous faîte quoi ?
- Je négocie. Je négocie avec les autres communes qui font partie de l'agglo. On a créé un réseau de ville de moins de 10 000 habitants, un autre pour les moins de 20 000, etc, à l'échelle du département. A plusieurs on est plus fort pour traiter nos problèmes particuliers, et les réseaux font le pendant à ceux des agglomérations au niveau départemental, régional et même Européen. Nous défendons nos intérêts particuliers, et nous participons aussi à ces autres réseaux parce que nous défendons aussi l'intérêt général. Après, il faut encore négocier avec l'Etat ou avec ses administrations, convaincre au niveau local, mais aussi national, et parfois supra-national. Nous élaborons des stratégies de bonne gouvernance, nous refondons les domaines de compétence administratives. Nous partageons des expériences carrément au niveau mondial. Je discutais d'ailleurs récemment avec mon homologue Chinois qui se plaignait de la trop grande complexité de leur système politique et administratif. C'est évident pour tous ceux qui ont essayer de travailler avec les Chinois : on y comprend rien et on a toujours l'impression de se faire avoir... Et nous sommes tombé d'accord, c'est très mauvais pour la confiance...
- En effet, quel programme !
- Mais ce n'est pas tout. Car évidemment toute cette organisation nous cherchons à la rendre plus fluide, à la clarifier, à la rendre plus accessible pour n'importe lequel de nos électeurs de blase, si je puis dire. Nous travaillons aussi très dur à la numérisation globale de ce système. Chaque réseau réel est doublé d'un réseau virtuel, qui a son tour génère des synergies administratives, des nouveaux liens bénéfiques, des raccourcis, des simplifications, auxquels nous n'avions jamais pensé, et auxquels il faut savoir faire face. Simplifier au maximum, voilà notre mot d'ordre...
- Mais vous savez faire ça ?
- C'est difficile. Nous ne maîtrisons pas la totalité des ressources technologiques. Alors nous devons négocier avec les acteurs privés du secteur, ce sont des grands groupes avec lesquels nous avons pris l'habitude de collaborer. Mais quand il s'agit de les faire travailler tous ensemble, on se heurte à des difficultés insurmontables, à des incompatibilités de format, des problèmes de traductions hasardeuses, surtout des clauses de contrat, car ils ne parlent pas tous la même langue, mais nous progressons tous les jours dans la standardisation des problèmes comme des solutions. Et cela, nous coûte beaucoup d'argent, mais tant qu'on nous en prête... Nous sommes toujours limités par nos moyens au regard de ce qui pourrait être fait...
- Mais où va tout cet argent ?
- Justement nous nous sommes associés avec un grand établissement financier pour garantir le bon usage de l'argent des contribuables. Nous avons appris à remonter à contre courant les flux de devises, comme des saumons pour frayer au plus rentable. Les dépenses d'aujourd'hui sont notre avenir. Nos dépenses sont notre richesse ! Rappelez-vous de ce dicton,  comme je vous le dit !
- Mais les cours de cash, vous les remontez jusqu'où ?
- Au plus en amont possible, en explorant aussi toutes les dérivées, les resurgences...
- Et ça donne quoi ?
- Vous aurez du mal à me croire, toutes ces questions paraissent complexes, mais j'en discutais justement avec l'un de mes conseillers qui m'expliquait, sans pouvoir l'affirmer avec certitude, que très rapidement on allait se rendre compte, preuves scientifiques à l'appui, que nos dépenses remonteraient toutes dans une même poche... Simple ! Non ?
- Monsieur le Maire, vous connaissez les Îles Caïman ?
- Oui ! C'est exact d'après mon conseiller, ce serait dans cette région que le cash finirait par déboucher...
- Et vous y êtes allés voir ?
- Ça, je n'aime pas trop en parler aux journalistes, je vous le dis entre nous, parce qu'on a vite fait de jazzer, et qu'il faudrait tout de même pas qu'on croit que les politiques se paient des croisières sur le dos des contribuables...
- Alors ! Dites !
- Nous avons monté plusieurs expéditions, des expéditions ambitieuses et importantes pour mieux connaître ces Îles Caïman...
- Et alors ?
- Alors ? Nous ne les avons jamais trouvées !
- Comment ça ?
- Oui, elles existent, elles sont indiquées sur les cartes, mais quand on y va, on ne les trouve pas là où elles devraient être. Elles ont disparu !
- C'est absurde !
- Non, pas absurde. Nous avons mandaté des scientifiques de haut vol, pour plancher sur le sujet. Et ce serait à cause du changement climatique.
- Je ne comprends pas...
- Si, si, les îles Caïman auraient été englouties par l'océan suite au réchauffement et à la montée du niveau des eaux.
- Mais où va l'argent alors ?
- Ben ! Aux Îles Caïman quand même ! C'est cette énigme que nos polytechniciens cherchent à percer. Le système fonctionnerait encore sous l'eau. Mais retrouver un système sous-marin dans l'immensité de l'océan... Vous comprenez le problème !
- Vous ne disposez pas d'avions renifleurs ?
- Ben ! Non ! La technologie est hors de prix, et quand on nous les a proposés, nous n'y avons pas cru. Vous comprenez, il y avait eu le précédent des avions renifleurs de pétrole à l'époque de Giscard d'Estain. Alors nous nous sommes méfiés.
- Il paraît que les Américains en ont !
- Et, oui ! Et, c'est grâce à ces technologies futuristes qu'ils écoutent nos secrets.
- Mais des avions renifleurs, il y en a des pas chers...
- Tout est relatif...
- Si, mon beauf à un copain qui bricole pas mal et je sais qu'il en a fabriqué. Alors si vous avez un petit budget...
- D'accord, mais derrière il y a la maintenance...
- Pas de maintenance ! Ce sont des avions qui ne volent pas...
- Intéressant ! Mais ils font quoi alors ?
- Ils reniflent, c'est tout. Vous pouvez même les installer sur un rond-point.
- C'est bien ça, j'en fait plein en ce moment. Ils sont esthétiques les avions de votre pote ?
- Nickel magnifique ! Ils sont beau comme un bouquet, une gerbe de magnificence. Enfin c'est ce qui a de marquer sur son prospectus...
- Mais ça fonctionne comment ?
- Très simple : ça renifle tout, et tout ce qui pue ça vous le renvoie en temps réel. Si les Îles Caïman, ça pue, vous pourrez les localiser sans problème, rien qu'à l'odeur. Sinon, c'est que ça ne pue pas ! Vous pouvez alors passer à autre chose.
- Génial ! Vous me laissez le contact ?
- Mais dites-moi franchement, Monsieur le Maire, votre boulot ça consiste essentiellement à construire des ronds-points...
- Euh ! C'est réducteur.
- Ce n'est rien de plus qu'une guérite avec un petit monsieur casqué ou coiffé qui gesticule dans tous les sens avec un sifflet dans la bouche...
- Oui ! C'est drôle ça !
- Vous aimiez jouer au train électrique quand vous étiez petit ?
- J'adorais ça !
- C'est comme les jeux vidéo, ça a parfois des conséquences désastreuses dans la vie réelle...
- Sûrement que ça a du générer de nombreuses vocations pour devenir chef de gare ou cheminot...
- Mais finalement, Monsieur le Maire, le crowdfunding, c'est, je résume en gros, "aide toi ! Le ciel t'aidera ?"
- Oui ! Vous avez le sens de la formule ! "Aide-toi, le ciel t'aidera !"
-  j'ai appris ça en instruction civique.
- Très bien l'instruction civique !
- Mais dites-moi, le ciel laïque et républicain, c'est un peu vous ça ? Non ? C'est votre nouveau rôle ?
- Moi ! Le ciel ? Alors un ciel sans un nuage, tout bleu, un grand ciel bleu au service de mes électeurs...

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lundi 23 septembre 2013

Le Débit Industriel








Je suis rattaché au Débit Industriel, c'est ma banque de souche.

Il y a bien longtemps maintenant, ma banque en personne, m'a appelé au téléphone, chez moi, un samedi matin. Une dame m'a demandé très poliment quand je serais disponible pour rencontrer mon conseiller financier ; car j'en avais un ! Je ne le connaissais pas, j'ai demandé à la dame pour quoi faire, elle m'a dit, justement pour faire sa connaissance et puis faire le point avec lui.

Bon ! Je prends donc un rendez-vous avec lui, et je m'y rends, bien sapé, rasé de près, fringant comme pour toutes les premières fois. Mon conseiller financier ; un jeune type. Il a l'air dynamique, plutôt sympa. Première question ; « Pourquoi vous avez pris rendez-vous ? « Je ne sais pas, c'est le Débit Industriel qui m'a dit, qui m'a convoqué en quelque sorte. » Il a sourit :

- Nous allons faire le point ensemble alors ?
- Oui, c'est ça !

Le point, en gros, c'est RAS, rien de particulier à signaler, mais toutefois, il y a un bémol : une totale absence de prévoyance et d'anticipation de l'avenir.

- Vous avez des projets, achat d'une voiture, électroménager, Hi-fi, aspirateur, télévision... Autre ?
- Je ne sais pas. Bof !
- Vous pourriez en avoir ! Nous avons une cagnotte pour vous ! Un prêt illico pour toutes vos envies.
Si ce n'est pas la classe ça ?

- Bof ! J'achète d'occas', c'est bien non ?
- Bon ! On pourrait voir sur du plus long terme : la retraite ! Vous savez que vous cotisez pour les retraités d'aujourd'hui, et que pour vous, dans trente ou quarante ans il ne restera plus grand chose. Pour 2020, on vous garantit un cache sexe et rien de plus ! En 2020, ce ne sera plus que ce modeste morceau de tissu qui fera la dignité des vieux. Alors je vous conseille d'y réfléchir dès maintenant. ; c'est le bon moment.
- Ah oui ! Bof...
- Mais si ! Vous devriez souscrire un PERP : un Plan Epargne Retraite Prévoyance. Vous payez des impôts ?
- Pas tant que ça.
- Vous ne payez pas encore beaucoup d'impôts, mai ça viendra. Un PERP, c'est magique ! Vous ne payez plus d'impôts et vous avez droit à un T-shirt Débit Industriel pour votre retraite, avec un aller simple pour l'île de vos rêves. Vous commencez à 50 Euro par mois, et après vous ajoutez, selon, comme cela au fil du temps. Et vous bénéficiez à la fin d'une parfaite panoplie de retraité heureux, avec croisière, thé dansant, gueuletons, jardinage, la formule complète...
- Petites pépées aussi ?
- Et pourquoi pas ? Si vous y mettez le prix.
A moi, le PERP me faisait trop penser à Jean Pierre Raffarin, le premier ministre et grand commercial du PERP. Et Raffarin à l'époque, je ne l'appréciais pas trop.

- Si vous n'investissez pas les 50 Euros dans le PERP, qu'est-ce que vous allez en faire ? Ils vont moisir sur votre compte courant ?

Je le regarde hagard, car je ne sais pas trop quoi répondre, il continue :

- Vous savez, l'argent aigrit. Conservé n'importe comment, il se réduit, se recroqueville comme une peau de chagrin. L'argent vieillit mal au fonds de votre compte ordinaire.
- Que dieu préserve !
- Pour vous... Ce qui convient... C'est le Plan Atout Verdure Horizon. Ce n'est pas un PERP, c'est autre chose, une bourse qui gonfle, je n'aurai pas le temps de vous l'expliquer. Vous mettez 50 Euro une fois par mois. Pognon revigoré garanti ! Alors création d'un compte titres. C'est fait. Et signez là. Attendez, ça c'est pour moi ! Signez aussi là pour dire au juge que je ne vous ai pas fait mal.

Atout Verdure Horizon pour le même prix qu'un abonnement à PIF Gadget ! Une affaire !

Vrai aussi qu'on ne s'abonne pas tous les mois à un magazine.
Un détail. Je sentais qu'avec mon nouveau compte titres, j'accédais à un nouvel état. Je me sentais plus en phase avec le monde autour de moi qui avait tellement, et si vite changé.

Fini les plaisirs collectivistes, adieu la populaces à gadgets, les élevages de poids sauteurs ou d'animaux préhistoriques en kolkhoze, bienvenu aux success strories, aux paillettes dorées, au pognon qui s'enfle du plaisir d'être cajolé comme un titre original. De la création de monnaie. Les délices de l'élevage de fraiche . Tous cela pour à peine 50 Euros par mois. Le pied !

Atout Verdure Horizon, au départ, le nom du titre m'avait paru plutôt ringard. En y réfléchissant, il y avait un jeu sur les mots mais pas des plus fins. Je ressentais mes titres comme les symboles de la propérité. Atout : les tarots de la destinée. Verdure : la couleur de la campagne, la couleur du dollar et du bon sens. Horizon : la rencontre du ciel et de l'océan. Pour dire vrai, avec mon esprit encore populo-industriel, j'avais aussi pensé à une voiture des années 70 : La Simca Horizon. Avec ma Simca, moi je suis sur la route à fond les manettes, j'amasse la caillasse et je me casse à Dallas.

Les résultats ont de suite étaient fabuleux. La banque m'adressait régulièrement un courrier pour m'avertir qu'Atout Verdure Horizon avait tout cassé : la mer de thunes avait crevé le plafond, traversé le ciel et visait maintenant le soleil. Mais à force de monter toujours plus haut, mon abonnement à 50 Euros ne me donnait tous les mois que de moins en moins d'Atouts, qui de mois en mois devenaient plus chers et plus précieux. Mais moi, je ne faisais pas cas. J'aimais lire ce bonheur qui transpirait des lettres de performance. Je restait toujours dans la partie.

Mais un couac est survenu. Je l'ai découvert sur un relevé de compte. Paf ! Un découvert ! A peine quelques jours : une cinquantaine d'Euro. Pas à cause d'Atout Verdure Horizon. Mais la correspondance des montants ! La colère de m'être ainsi fait prendre ! Font que j'ai mis la faute là où cela m'arrangeait le mieux.

Découvert ! Aggio ! Frais de dossier ! Ça prend aux tripes. Et coïncidence la dame du Débit Industriel m'appelle pour un nouveau rendez-vous pour faire le point, comme il est d'usage dans cet établissement.

J'y fonce, bille en tête de négocier ces lamentables frais de dossier, Une trentaine d'Euro quand même, pour une inadvertance de quelques jours. Mince ! En plus avec toute ma richesse Atout Verdure Horizon, ils ne pouvaient pas me faire cela à moi : leur client ! Pourquoi pas interdit bancaire tant qu'ils y étaient ?

Je me pointe donc à l'agence. Le conseiller a changé. C'est maintenant une jeune fille. Il faut dire qu'entre temps, moi j'ai vieilli. Même question : « qu'est-ce qui vous amène ? » J'ai mon relevé de compte, mon découvert et j'attaque. Ma conseillère n'est pas bien grande de l'autre côté du bureau. Elle écoute, clique sur sa souris, de temps en temps regarde un peu plus attentivement l'écran de son ordinateur. « Alors vous me les remboursez ces 30 Euro ? », que je lui intime sans prêchi-prêcha !  «  Pas possible ! Le système... La convention Européenne, la loi sur la concurrence..., et les Chinois à l'autre bout du monde. Que penseront-ils de nous si nous vous remboursons ? Ils pourraient eux aussi réclamer leurs dus, et leurs dus sont multipliés par leur très grand nombre... »

Ma conseillère était petite de taille, mais subitement elle semblait avoir doublé de volume. Elle me proposait une solution à la radicale, un service qui permettait d'éviter que cette situation ne survienne à nouveau. 10 ou 15 Euro par mois seulement, selon la formule « luxe » ou « ultra luxe », et tous les découverts à venir passeraient comme une lettre à la poste. Même les Chinois n'en seraient pas avisés. Pas de chinoiserie, pas de bogue numérique, pas de chichi. Le service idéalement conçu pour des les gens qui savent vivre. Il faut savoir vivre sans trop regarder. Trop regardant ! Gare à ne pas dépenser au moins un œil ! Mince ! Pas si commode la gadji ! Insister, implorer face à elle, ne servait à rien. Tout était dit. Tout était dans l'ordinateur, comme à Pôle Emploi. La messe était dite et elle avait sûrement noté sur un fichier secret : client casse-pieds à prendre avec des pincettes. Et client qui de plus ne rapporte rien chez nous depuis longtemps : ne rapporte plus rien depuis longtemps (surligné plusieurs fois).

- Alors au revoir !
- Au plaisir et n'hésitez pas à me contacter au moindre problème...
- Je n'y manquerai pas.
- Et si vous avez un projet. Vous avez un projet ? Une voiture, de l'électroménager, Hi-fi, n'importe quoi ?
- Bof !
- Jusqu'à 3000 Euro. Alors n'hésitez pas.
- Adieu !

Qu'une envie, quitter cette banque. Pour toujours. Fâché qu'on m'ait mis une débutante comme conseillère. Même pas elle m'a remboursé ces trente Euros. Elle n'a même pas parlé d'Atout Verdure Horizon. Rien. Dorénavant le Débit Industriel restera ma banque, mais seulement ma banque en ligne directe. Plus question de profiter du réseau de proximité. Pas besoin de leurs conseils, besoin de rien.

Quelques temps ou peut-être même années plus tard, j'ai vu durant l'après-midi qu'à la télévision ils avaient rappelé Jean Pierre Gaillard du tréfonds de sa retraite. Sur les plateaux l'agitation était à son comble. Il semblait être en train de se passer des choses graves. Un jeune journaliste essayait de meubler, l'air inquiet, tout en jetant un œil sur son écran de contrôle.

- Qu'est-ce que vous nous conseillez Jean Pierre ?
- Euh ! C'est à dire que... ! Vous me connaissez ! Toujours plein d'allant. Mais aujourd'hui, comment dire ? Il ne faudrait pas que je sois mal compris... Ou alors !
- Mais vous qui avez connu la crise de 1929, comment cela s'est-il passé à l'époque ?
- C'est à dire que j'étais très jeune... Et la télévision n'existait pas encore...
- Mais qu'auriez vous conseillé en 1929 ?
- Ah ! Je ne sais pas ! J'aurais pu dire : « dégagez des bancaires, des industrielles des cycliques, des matières premières, des monétaires ! Dégagez et mettez tout sur la soupe populaire, vous serez tranquilles au moins jusqu'à la date limite de consommation, sinon les pâtes, le riz, c'est bien aussi, pensez aussi au topinambour pour garder un espoir d'être pénard jusqu'à la fin de la guerre... Mais j'étais trop jeune ! Je ne peux pas me rappeler. Et je ne dis surtout pas que c'est ce qu'il faut faire aujourd'hui !
 J'ai décroché mon téléphone immédiatement, appelé le numéro vert, composé les huit chiffres de mon code confidentiel, confirmé mon numéro de compte, ma date de naissance, répondu à ma question secrète, joué la mélodie de mes vingt ans avec la touche étoile de l'appareil, et réussi à joindre mon trader personnel : du moins, sa silhouette immatérielle planquée quelque part dans le monde, en costume trois pièces, chaussures cuir pointues et doigts d'ange pour faire passer des milliards dans du velours et sans faire crisser les billets. Je me suis demandé où est-ce qu'il pouvait être : à Paris, New York, Londres, à Francfort. Je n'ai pas pris le temps de le lui demander. J'étais au comble de l'excitation. Et j'ai crié dans le combiné :

- Vendez tous !
- Tout d'un seul coup ? Vous allez faire baisser les cours. Vous devriez vendre par morceaux.
- Vendez tout, c'est un ordre !
- Bien ! Monsieur. Cela sera fait.

J'ai vivement raccroché, retournant voir le ramdam des experts, des invités, des spécialistes sur les plateaux de télévision.

Je vous assure que je ne le savais pas. Car mon trader personnel spécialement mandaté pour le Débit Industriel était ce jour-là en poste à Singapour. Et là-bas lorsque j'ai passé l'ordre, c'était déjà demain. Et quand on connaît déjà le lendemain le jour même et même depuis la veille , on a tendance à spéculer. Et c'est quand ils ont tous compris qu'il fallait craindre que mon ordre ne déclenche une chute des cours pour le lendemain, qui pour eux était aujourd'hui, qu'ils ont tous craqué en même temps, avec les conséquences économiques catastrophiques que l'on connaît.

Durant un court instant les techniciens de la télévision ont cru que c'était enfin arrivé. On a vu défilé l'autogestion, le nouveau bénévolat, le revenu universel passif, le troc à grande échelle, la monnaie de sel, et puis les hommes d'affaires qui se jettent par la fenêtre de leur gratte ciel, et des foules massées contre les guichets des agences bancaires comme s'il s'agissait de la dernière chaloupe du Titanic, et des chemises brunes, et une grande désolation, des pyjamas d'extermination, des bombes atomiques...

Alors un grand black Américain est arrivé pour tenter de remettre un peu d'ordre dans ce chaos. La tribu des blancs et assimilés, se tenait sagement derrière lui, la mine décomposée. Chacun était accroché à la manche de son voisin pour se donner contenance. Et le grand black a dit : « Je rachète tout ! C'est moi qui rince ! » La clochette à tintinnabulé de joie, tellement le nombre de super-tanker remplis à raz bord de pognon qu'il présentait au monde paraissait insondable. Ouf ! J'ai pu enfin éteindre la télévision et vaquer à mes saines occupations. Mais que d'émotions !

Un peu plus tard on a fait le debrief sur toutes les chaîne et pendant longtemps. Il y avait un jeune type, l'air de s'y connaître à fond en matière de fric. Il semblait avoir refait trente six fois ses calculs avant de les exposer. Il disait que 800 000 milliards de dollars avait disparu en quelque minutes. Mais où sont-ils allés ? Il a expliqué des histoires d'engrenage et de bras de levier. D'autres ont voulu expliquer que les 800 0000 milliards avaient disparus car il n'existait pas, comme des faux, du factice, des fétiches, qu'ils étaient, mais sans exister ! Mais que c'était-il donc passé ? Une nano-fissure dans le coffre-fort serait la responsable du désastre. Tout l'argent y aurait été aspiré, happé par l'infiniment petit qui recèle des propriétés tellement étonnantes. Je pensais un peu honteux à mes Atout Verdure Horizon.

Les milliards, on allait quand même les chercher, les retrouver, tous ces biftons, ils avaient dû laisser les traces ? Alors là, c'était la théorie du dentifrice, qui une fois sorti, était tellement difficile à remettre dans le tube. Toute cette monnaie cassée en une infinité de petits morceaux, c'était peine perdu de vouloir la recoller avec du scotch. Qu'est-ce qu'on allait retrouver d ans les filets des pécheurs d'oseille ? Que des miettes. La tâche était impossible. Le gros des milliards filerait toujours à travers les mailles du chalut, aussi fines soient-elles. Il s'agirait d'un phénomène qui s'appelle l'entropie, à ne pas confondre avec la philanthropie. La philanthropie s'était déjà barré bien avant. Elle s'était fait la belle par le trou de la couche d'ozone. Un coup d'aérosol en trop et la philanthropie pchit, pchit ! Dans la stratosphère, plus rien à voir, plus rien à donner, plus de main tendu : tu raques ou tu crèves !

Alors les gars, franchement, excusez-moi, je ne savais pas que ça se passerait comme ça. Personne ne m'avait vraiment prévenu. Mais c'est mon découvert au Crédit Industriel ! C'est ça qui m'a vraiment énervé ! Je suis désolé.



dimanche 22 septembre 2013

Pneumatique



Elle :

"Le tube de cet été là me rendait complètement folle. Ca faisait genre autopsie, un peu police scientifique, tueur en série : que du glauque. Du glauque, qui malgré tout, stimulait sacrément mes hormones. Ça faisait comme ça, j’étais carrément folle de cette chanson.

« J’aime les femmes longues un peu désarticulées
J’aime les femmes longues aux yeux de poupée
Qui s’ouvrent et qui se ferment
Qui mouillent et qui se fixent... »

Il faisait soir, j’avais chanté à perdre haleine et je me sentais naufragée, comme une sirène essoufflée d’avoir vidé toute la surface de tous les océans de toutes les flottes, de tous les bateaux et surtout, de tous les marins. Point de brise, point de bise, point d’étoile, point de gîte, plus qu’à ressasser sac et ressac : un début de nuit aux faux airs d’apocalypse, si un personnage parfaitement répugnant ne m’avait pas abordée. Je revois encore ce crevard avec sa tête de feutre indélébile. J’entends encore sa complainte qui glissait en frissonnant d’espoir sur un bout de feuille de papier glacé, frémissant, me suppliant de le suivre, de le rejoindre. Répugnant personnage... Je ne l’ai pas suivi, car moi je préférais suivre des plans, aller là où on m’indiquait, partir seule, m’expédier moi-même comme un colis. Et la rengaine m’accompagnait toujours :

« J’aime les femmes longues aux doigts mous
Qui cherchent au hasard d’une caresse
Un épi dans leurs cheveux courts
Qui les rend moches et cadavres... »

Et j’ai fini par le retrouver.

Je suis entrée dans un endroit tout en céramique verte. Il y avait un disque jockey en marbre tout au fond de la boite. Je me souvient encore de l’oeil vitreux de la caissière à l’entrée et du videur chromé qui faisait la police. On aurait dit de la vie putréfiée, de la vie qu’on aurait pris soin de dépolir, de mettre sous vide et de figer pour l’éternité. Comme de la mort, quoi ! C’était génial !

Je l’ai tout de suite repéré mon feutre bleu. Il se trémoussait sur la piste, gribouillis acides, gazouillis dysharmoniques, grincements rauques de plumes, comme des craies sur de l’ardoise. C’était l’année des valses guerrières, on poinçonnait le sol comme une machine à tisser des liaisons invisibles. Je crois que c’était ça le concept.

Il m’a repérée et d’un trait m’a rejointe au bar. Des phrases se sont élancées et je les lisais dans son sillage. Il me faisait un peu peur, il était imbibé d’alcool et il empestait la colle à rustine ; j’aimais bien cette odeur. Il me racontait des histoires, des histoires pour me séduire et qui me séduisaient. Il me disait que son âme venait de loin, presque des origines du monde, il me disait qu’il savait reconnaître au parfum si un fruit était bio. Et il y avait cet air qui revenait sans cesse.

« J’aime les femmes longues
Qui ont un regard en plastic glacé
Que chaque choc viole comme un rideau de paupières
Qui rend les ténèbres aussi glaciales que torrides... »

Répugnant personnage, sale type quand j’y repense, qui me racontait qu’il avait fréquenté la guerre, échappé de justesse à des combats bestiaux, qu’il avait lutté corps à corps avec la mort, sauvé sa vie, sauvé des vies... Et tout ça pour en venir au sexe, toujours au sexe, à mon sexe, pour en venir à moi, à mon désir, à mes hormones, à ce tube qui me rendait folle et pour en revenir à lui, stylo feutre bleu, qui s’exhibait droit comme un I.

Drague de stylo, drague de Tarzan, drague d’ivrogne...
Il a continué son numéro et il a parlé de Dieu. J’y croyait aussi tant l’ivresse était chaude. Il disait l’avoir rencontré au vernissage d’une exposition de sculpture... La nuit courrait vite.

A quoi bon discuter, il en va des plaisirs de la narration de se faire prendre pour un autre, ou pour une autre, de mieux s’éprendre de quelqu’un qu’on ne saurait le faire, et de faire dire, pour dire ... Mais la fulgurance de ma pensée m’a éblouie alors si fortement, que j’en ai carrément perdu le fil de mes idées. Une lumière crue et assommante sonnait la fermeture de la boîte de nuit. Et le voilà maintenant à vociférer avec les autres devant le comptoir du bar : « Encore un verre ! Un dernier verre, pour se finir, pour finir mon plan... » Mais tout l’ONYX de la petite boite se convulsait déjà pour se vider de tout son monde. Il était tard, trop tard, tout glissait inexorablement vers la sortie, ombres chassées par la lumière. Les dernières épaves se faisaient traîner jusqu’à la sortie.

Assis par terre dans la rue, mon feutre bleu s’est mis à crier dans la nuit éclaircie du petit matin : « vieilles pommes de terre poreuses que vous êtes ! Il vous sortira des vermicelles par le nez jusqu’aux saints sacrements quand on vous l’aura bourré de coton ! »

Et nous sommes rentrés après la dernière tirade, tout en zigzags, sans une parole. Dans les yeux une vague tristesse, une pensée fanée pour la nuit qui s’achève. Un baiser, qui raisonne comme un coup de fouet, un fond crissant de caresses feutrées comme un papier qu’on froisse, comme une histoire qui se déchire. Il y avait cet air qui revenait toujours par bribes, ce tube mécanique dans les tympans, marteau piqueur dans la ville endormie.

« J’aime les femmes longues qui ont une peau sans teint
Que la lumière transperce et que la nuit suffoque
J’aime ces femmes longues qui ne m’ont... jamais parlé.»
 ;
Il fait jour maintenant. L’autre gît chez-moi dans mon fauteuil rose. Je ne sais pas très bien ce qu’il m’a pris, ou plutôt si, mais non. Je lui ai transpercé le cœur d’un grand coup de stylo plume placé juste au bon endroit. Non, il n’a pas souffert. Ça a été si soudain. Il n’a eu que le temps de se boursoufler d’horreur, avant de se dégonfler dans un long soupir, jusqu’à être aussi mince que son enveloppe en caoutchouc dur. Il se vautre maintenant comme un préservatif géant, au milieu de mes jouets de quand j’étais fillette. Ces yeux sont de plus en plus mélancoliques. Ils fixent ce joli feutre bleu qui finit de raconter son histoire effilée comme une lame de rasoir...


TNj, "Les Rendez Vous de la Sagesse", mai 1990

lundi 26 août 2013

La Sirène et l'explorateur du Temps




L'explorateur du Temps est un jeune homme qui après une déception amoureuse se prend de passion pour des bulles de savon. Il en fait, il en fait, et elles volent, elles volent, elles pétillent de partout. Puis éclatent. Quelques unes, les plus rares, se posent comme des flocons de neige dans le creux de sa main. Et c'est là. C'est là l'Instant. L'Instant de toute une vie. L'Instant attendu ; mais aussi redouté. L'Instant effrayant ; car il est bref et cataclysmique. L'Instant de l'insaisissable ; et aussi justement, l'Instant du saisissement.

« Arrive alors le frémissement d'une effluve subtile, qui, dégageant la bulle de son enveloppe , dissipe un arc en ciel ultime dans la transparence de l'oubli. »

C'est l'Instant où des mondes étranges apparaissent aux confins des Temps. Des mondes discrets mais fascinants. Des mondes dont il faut savoir reconstituer le relief : le relief de ces Instants précieux.

La déception amoureuse est une Sirène. Sa voix, ses mots, ses chants, ses mouvements sont si beaux que nul sur la terre comme ailleurs peut prétendre y rester insensible. Les arbres étendent plus loin leur branchages dans l'espoir de serrer un peu de cette âme légère ; les fleurs ouvrent en grand leur corolle pour recueillir l'essence de chacune de ses paroles ; les rochers se fissurent et font ruisseler leurs rides de larmes brûlantes comme leur désir infini.

Mais la Belle Bulle voulait aussi aimer un certain jeune homme : l'explorateur du Temps. C'était, bien avant qu'il commence à l'explorer d'ailleurs.

Lui, assiégé par la peur d'obtenir si simplement le bonheur, le plaisir, le désir convoités par tout le reste du monde, se contentera d'une seule question à la Sirène des Sirènes, « pourquoi moi ?» ce qui lui explosera bien sûr à la figure, comme une première bulle de savon.

Ainsi la douce mélodie, comme abattue par l'interrogatoire, balbutiera bien encore quelques couacs avant de s'éteindre, mais si peu. La Belle n'avait pas chez elle de paroles assez justes pour répondre à une question aussi grave.

Lui tentera confus de rattraper sa maladresse. Lui cherchera à produire des sons pour meubler un silence de mort. Mais lui, piqué à la fois par la honte et par un désespoir absurde, sentira qu'un venin digère à toute vitesse les globules de son sang, que des bulles remontent le long de ses membres et jusqu'à sa cervelle ; qu'elles occuperont désormais tout son univers.

Il remarquera pour la première fois, une image psychédélique figée dans l'une d'elles, un monde à part, inexploré. Il croira avoir découvert un fil pour retourner en arrière, ou mieux encore, une formule de re-création pour lui-même, qui anéantirait tout défaut, toute maladresse, toute angoisse, toute terreur. L'idéal. L'idéal qu'Elle n'espérait certainement pas , mais qu'Elle n'avait pas su dire. Il engagera désormais comme un dialogue avec ces mondes.

La Sirène qui avait perdu toute confiance dans l'étendu de son répertoire, se saisit des mains nombreuses qui se tendaient vers elle afin de l'aider à soulager son chagrin. Elle se fit conduire vers des contrées lointaines en quête de musiques, de danses, de poésies, de langages inconnus d'où elle espérait trouver enfin les mots. Elle parcourut des millénaires de civilisation, des années lumières dans les villes, les déserts, les brousses. Elle rencontra tout ce qui peut parler, aimer, ressentir. Mais toujours en vain. Elle revenait sans cesse vers son explorateur du Temps et les mots à sa bouche disaient toujours sans parvenir à dire : victime de mutisme chronique. Elle revenait toujours vers lui comme on va en pèlerinage.

Mais la nostalgie de cette Sirène qui naguère leur avait donné du cœur, avait convaincu les arbres, les fleurs, les rochers, et encore tous les admirateurs de cette quête aux quatre vents, c'est à dire les rencontres, les croisements qu'elle avait semés sur son chemin, de lui inspirer par une magie singulière, le lexique abscons que pratiquent les bulles de savon. L'initiation fut difficile, mais très vite la belle Sirène acquit les bases et beaucoup plus encore. Les mots n'était plus articulés comme les siens, mais ils devenaient des formes, des dessins, des plans, des mythes, des mesures ou même des mathématiques : des figures de style pour tromper le destin.

Et elle revint encore près de l'explorateur du Temps en pèlerinage comme depuis tout le temps. Elle revint, autorisée cette fois-ci instamment et pour l'Instant à se déjouer du destin : elle espérait gentiment et simplement pouvoir corriger la désunion grotesque et maladroite dont elle se sentait coupable.

Il est un fait établi que l'exploration du temps prend beaucoup de place dans le déroulement d'une vie, et que la science des bulles de savon ne produit des résultats tangibles qu'après de longs tâtonnements, des hypothèses et des vérifications. Là, maintenant, le savoir touchait enfin son terme. Là, dès lors, les signes des autres mondes s'exhibaient sans pudeur dans toute leur innocence.

Par exemple, les bulles de savons lassées de protéger des secrets immortels, se gonflaient du souffle de la fierté et de la suffisance. L'explorateur du Temps les entendait maintenant plus qu'il ne les voyait. Il écoutait leurs vibrations, leurs plaintes, leurs rages, leurs cris, leurs râles, leur combat empreint de douleurs sourdes et de souffrances stridentes : il ressentait tous ce qu'elles gardaient dedans pour ne pas éclater.

Et là maintenant, les bulles de savons commençaient de figurer un monstre féroce, polyphonique, hurlants de toutes ses voix, de toutes ses bouches, de toutes ses têtes ; le gardien d'un monde irréversible, en lutte avec des lyres, des guitares, des hauts-bois, des cuivres. Il fallait l'amadouer ce molosse, par des notes, par des sons noirs, par des coups, par le rythme, dompter la bête grâce au tempo d'un séisme.

L'étreinte se desserrait. La trappe s'entrebâillait. Mais le monstre vaincu, ouvrait sur des ruines et sur la guerre, sur des armées de méchancetés, de trahisons, de frustrations déjà en ordre de bataille, de celles qui se blindent dans des carapaces en titane, celles qui infusent leurs cibles comme de l'homéopathie chirurgicale, celles qui tournent la lumière en ténèbres. Ces légions-là on voudrait les éviter, les oublier, les laisser de côté. Mais elles appellent à elles, et elles convoquent, inculpent, condamnent, écrouent, et détruisent d'un trait de plume les kamikazes de toute nature. Ses forces sont invincibles. Seuls parfois, l'amour, la poésie, et l'art parviennent à les contourner : à les subjuguer.

Une main fine semblait se tendre vers l'explorateur du Temps pour l'attirer ailleurs : l'extirper de sa bulle.

La Sirène se rapprochait de ce qu'elle avait si longtemps espéré, cependant elle répondait en silence à la question qu'on ne lui posait plus. C'était malgré elle, une pensée murmurée, sans savoir, elle même l'entendait à peine, imperceptible. « Je l'aime pour sa passion pour les bulles de savon ».

Et tous écoutaient le coût de la souffrance pour ne surtout pas dire. Pour ne jamais avoir pensé.
Elle se tut donc de son mieux sachant tout de même qu'elle avait été bien entendu. Sa tenue de Sirène lui donnait-elle encore le pouvoir de masquer son trouble, ses pensées, sa maladresse ? Etait-il encore temps ?

Tous se retournaient vers l'envers du décor qui tenait encore mais presque sur plus rien, c'est à dire euh ! hum ! Qu'autrefois, elle ne connaissait rien de cette passion-là, rien du néant de ces bulles de savon, qui pètent, qui claquent, rien de cette folie angoissante, et de plus, elle n'était pas encore la déception amoureuse, loin s'en faut, et n'aurait pas pu dire de ce fait, et ne peux pas plus maintenant, et même pire ! Il semblerait qu'elle ait trahi un serment qui n'est ni plus ni moins, qu'un pacte du destin ! Celui qui devient fou furieux quand il est contrarié !

Elle fracassa dans l'Instant ce qu'il restait de la navette a-temporelle de l'explorateur du Temps et embrassa son ami comme jamais personne ne l'avait fait encore : un premier baiser qu'ils voulaient tous les deux... éternel. Mais...

En apnée, les fleurs, les arbres et les rochers, retenaient encore un coin du décor, et retenaient ainsi la fin de l'histoire, pour qu'elle ne bascule pas dans l'éternelle tragédie de l'amour maintes fois récitées.

Deux amants tombés des étoiles sur une plage de sable fin se racontaient un drôle de rêve. Un rêve où les mots décrivent la beauté fatale du vertige et du sentiment de vide. Un rêve où les bulles de savon surfent pour de vrai, submergent les cœurs et déclinent le mystère du néant et de l'être. Oui c'est à peu près ça ! Le garçon à la panoplie de cosmonaute et la fille à la queue de poisson avaient du mal à rester debout, ils riaient de leurs démarches, de leurs accoutrements, de ce qu'annonçait ce rêve. Ils se tenaient par la main en attendant le jour. Ils attendaient simplement, là, rempli de vie, les yeux embués par la rosée limpide de ce matin heureux. Ils s'étaient repliés l'un contre l'autre comme froissés, comme pour mieux se cacher, l'un à l'autre. Les détours confus du labyrinthe où sont cultivés les secrets de nos rêves, les retenaient ensemble et les préservaient d'eux-mêmes.

TNJ

vendredi 8 février 2013

Le ballon-point




Le ballon-point est une infrastructure novatrice dans le domaine des transports et de la sécurité aérienne. Mis au point et développé au début du 21ème siècle par l'équipe de football d'un grand terminal informatique, le Ballon-point  constitue aujourd'hui l'avancée la plus significative et incontournable pour fluidifier le trafic d'altitude qui ne cesse de croître en tendance comme en quantité. La généralisation de cette technologie devrait permettre dans les années à venir d'endiguer l'anarchie cyclonique qui sévit encore dans le ciel aux croisements des grands couloirs d'aiguillage.  Le recours nécessaire à des acrobaties ou à des tourbillons de haut vol devraient se raréfier, et le soulagement de ces entonnoirs de ligne s'effectuer dans la plus grande sérénité.

L'idée est venue tout simplement de l'observation d'un rond-point routier depuis la tour de contrôle d'un aéroport. Mais comment transposer ce système terrestre aux plus hauts des cieux ? Comment hisser des ronds-points et les maintenir aux bonnes coordonnées ? Comment fixer durablement dans l'air des aménagements aussi lourds ? La modélisation du projet a fourni les réponses à ces problème en apparence insolubles, et plus encore a permis de démontrer l'indéniable adéquation de ce système à l'avionique en général.

Pour pouvoir faire fonctionner un ballon-point n'importe où au dessus de nos têtes, la solution technique la plus appropriée impose la conception d'un support immatériel, totalement virtuel mais intégralement visible par le système de navigation des avions, par les pilotes, par les équipages, par les passagers. La difficulté réside alors, dans la nécessité d'envisager des superficies à l'échelle des gros porteurs, ce qui revient à calculer des surfaces de contournement aussi vastes que celles de villes comme Paris. Mais avec un avantage indéniable sur le modèle terrestre, car en profitant d'une troisième dimension routière, la modélisation permet d'assimiler le ballon-point à une sphère, et d'admettre ainsi un nombre infini de trajectoires possibles pour les aéroplanes.

Les premiers tests ont été effectués il y a quelques années maintenant et donnent suffisamment de recul pour annoncer que les investissements dans ce secteur vont exploser à court, moyen et long terme. En effet, après une première phase de scepticisme, due notamment au gigantisme des installations nécessaires - il a très vite été déterminé que l'efficacité du ballon-point dépendait de son volume, et que ce dernier devait croître d'un facteur cubique rapporté à la croissance du trafic -, le projet a pris une impulsion nouvelle suite à la mise en place d'un modèle économique original et convaincant, suite au perspectives immenses offertes par la miniaturisation des surfaces.

Très rapidement l’inquiétude d'un encombrement du ciel par le déploiement tous azimuts du ballons-point a très nettement dégonflé l'enthousiasme général pourtant corroboré par des statistiques d'efficacité très édifiantes. En effet, là où les installations ont pu être réalisées, on a constaté, depuis la dernière collision aérienne, une réduction drastique de près de 100% du problème. Des chiffres prometteurs, mais le gain dans l'amélioration de la sécurité n'a pas convaincu, tant le coût de la mise en œuvre est apparu prohibitif. 

Certains intérêts scientifiques ont envisagé que ces infrastructures pouvaient aussi jouer un rôle pour ralentir le réchauffement climatique en réfléchissant les rayons du soleil. Mais les expériences n'ont jamais été concluantes. Seule une petite équipe de techniciens, épaulée par quelques business angels audacieux ont persévéré. Ils ont su relancer le projet en s'appuyant sur un business plan très pragmatique. 

Afin de pérenniser le développement des ballons-points, ils ont imaginé de valoriser les terrains gagnés sur le vide, et de vendre ces nouveaux espaces à des annonceurs. La promesse de consommateurs captifs, désœuvrés et  forcément captivés par ces bulles directionnelles qui se dégagent comme par magie des nuages, et accessoirement massent les passagers contre les hublots, a construit le succès de l'entreprise : paysages de vignobles à perte de vue reconstitués, reproduction de pays entiers, simulation de civilisations disparues, répliques de grandes métropoles, imitations de complexes industriels en pleine production, coffres forts de banques garnis d'or et de devises, bouteilles d'alcool géantes déguisées en sirènes, panneaux publicitaires démesurés, effigies de dictateurs gonflés de rage et d'orgueil... Seules les limites de l'imagination semblaient en mesure de borner le volume offert par chaque ballon-point. L'engouement général a dès lors attiré de nouveau investisseurs : fonds de pension, fonds souverains. Si bien, qu'on a pu craindre que l'appel d'air provoqué par le déplacement d'une telle manne financière, remplisse tellement le ciel qu'il le rende impraticable à toute navigation. 

Avant que le projet ne s'effondre sous son propre poids, il est alors devenu prioritaire et urgent de mettre au point des procédés innovants afin de réduire l'encombrement des installations sans pour autant en réduire le volume. Les équipes de recherche convoquées d'urgence à grands renforts de surprimes exceptionnelles, n'ont pas tardé à obtenir des résultats, au delà des attentes de leurs commanditaires. Il est aujourd'hui communément admis que pour les besoins du trafic aérien le volume du ballon-point peut être miniaturisé jusqu'à des dimensions de l'ordre du nanomètre-cube, invisible à l’œil nu, et d'un encombrement quasiment négligeable. A ce jour, ces valeurs infinitésimales ne sont pas encore atteintes, car la technologie dédiée aux hublots télescopique ne parvient pas à donner suffisamment de visibilité à des nano-ballons-points. Les enjeux d'avenir résident en totalité dans ces nouvelles technologies télescopiques, capables de réguler la croissance rapide de la demande de volumes, à la nécessaire limitation de l'encombrement. Le marché est en très forte croissance et les perspectives sont très positives. Alors que la télescopie progresse, multipliant les possibilité d'installation de nouveaux ballons-points, le fort développement des voyages dans l'espace laisse présager un avenir prometteur pour de futurs aménagements adaptés aux immensités sidérales. Pour les transports terrestres la transformation des ronds-points en ballons-points qui encombrent beaucoup moins l'espace public, tout en rendant autant de services, est en cours d'expérimentation. 




lundi 21 janvier 2013

Les FAQ du service Pourliche premium

Question :
Est-ce qu'avec ce service, je peux avoir accès gratuitement à l'ensemble des œuvres littéraires tombées dans le domaine public ?

Notre réponse :
Pour à peine quelques euro par mois, nous proposons un abonnement spécialisé qui vous permet en effet, d’accéder sans aucune limitation à toutes les œuvres libres de droit. Toutefois vous savez sans doute, que le ministère de la culture s’apprête à privatiser incessamment le domaine public. Notre champ d'action s'arrête où les intérêts privés commencent. C'est pourquoi nous vous conseillons dès aujourd'hui d'anticiper ces nouvelles dispositions, en souscrivant à l'une ou l'autre de nos formules globales. Pourliche premium global offre en effet, d'immenses facilités pour s'arranger en cas de litige, avec l'Hadopi, les juges et le parquet et tant d'autres intermédiaires. Nous avons d'ores et déjà entamé des négociations avec les futurs ayant droit privés, afin que nos adhérents globaux bénéficient de l'accès universel qu'ils méritent, par exemple sous forme de cadeaux promotionnels, ou de prêts sans obligation de restitution.

Question :
Pourquoi Pourliche premium resterait-il un service public ?

Réponse :
Notre mission consiste dans l'amélioration conséquente de la qualité des relations entre l'administration et ses usagers. Nous considérons que les usagers par leurs contributions deviennent en quelque sorte, les actionnaires de nos services, et leur devons à ce titre un soin et une attention sans faille. Dans le cas d'une privatisation, notre œuvre générant alors du profit, changerait forcément de nature. Chacun serait en droit de poser la question du partage des bénéfices et du prix de l'accès à l'actionnariat qui pourrait s'envoler, et ne plus devenir qu'à la portée  de peu de personnes privilégiées, triées sur le volet, de plus "toujours les mêmes!". Cela constituerait une injustice fondamentale ressemblant de plus en plus à une escroquerie à grande échelle. 

Nous envisageons pour notre part, notre mission sociale avec le plus grand sérieux, une éthique communautaire digne de confiance, un sens des responsabilités quasiment familial. Nous souhaitons fonctionner comme des hommes et des femmes d'honneur, toujours inquiets de la justesse et de l'excellence de nos actions sans attendre de rétributions excessives. Pour vous servir, les contributions des usagers sont entièrement réinvesties par nos soin. Elles participent entièrement de l'amélioration des conditions de vie de certains fonctionnaires, les plus méritants, qui du même coup deviennent plus productifs, plus efficaces à résoudre les problèmes que vous rencontrez, à débloquer pour vous des situations inextricables. Nous élaborons des relations "gagnant gagnant" sur mesure, à la hauteur des ambitions légitimes de nos adhérents. Nous ne pouvons donc que nous présenter comme une entreprise publique de production de cercles vertueux.

Question :
Ce service me permet-il de modifier l'orthographe du mot FAQ, que je trouve personnellement beaucoup trop académique ?

Réponse :
En effet la gamme Pourliche premium comprend un service conçu en lien étroit avec l'Académie Française et tous les éditeurs de dictionnaires, afin de répondre à ces problèmes lexicographiques qui ont le pouvoir fâcheux d'invalider la joie de vivre de certains gourmets. Mais l'abonnement à ce service, essentiel, reste l'un des plus onéreux de notre gammes. En effet malgré tous nos efforts de persuasion, et malgré la pression des plus habiles de nos hommes de main, nous ne parvenons pas à ce jour à faire plier le syndicat du livre, campé sur des positions industrialo-élitistes teintée de valeurs judéo-chrétiennes, héritées d'un autre temps. Pour contourner l'obligation que nous avons de pratiquer un tarif exorbitant pour ce service, hors de prix du fait de l'invocation syndicale du syndrome de la tour de Babel, nous vous conseillons vivement, surtout si la modernisation du terme FAQ vous tient à cœur, de souscrire à l'une ou l'autre de nos formules globales. Nous saurons quand à nous, mettre en œuvre les incitations, spécialement dédiées à vous servir, qui décourageront les plus farouches récalcitrants de peur de perdre leur latin.
Cliquez sur "plus d'infos" pour adhérer sans délai :

samedi 19 janvier 2013

France5 Replay

Comme je ne réussis jamais à organiser ma journée pour être fin près au garde à vous devant la télévision à l'heure du début du programme qui m'intéresse, comme par exemple un documentaire sur la vie de Laurent Ruquier (c'était sur France2 mais repassera sûrement bientôt sur France5, la chaîne publique dédiée à l'éducation, à la formation et à l'emploi), je recours au service de rattrapage qui permet de visionner certaines émissions pendant sept jours. Les décalés du poste se reconnaîtront.

Hier dans la nuit je me suis connecté au replay de France5 qui, pour le moins n'est pas franchement convivial : celui qui a conçu ce site, soit n'a pas été payé, soit est fils de diplomate d'un pays ami qu'on ne peut contrarier pour raisons de sécurité ou d'état. Avec du mal, j'ai fini par choisir un documentaire (forcément celui qui était au bout de liste, ça m'a pris des plombes) et en lieu et place de la diffusion, une interface interactive s'est affichée sur mon écran de TV. En gros cela disait : "si vous voulez accéder à ce service public aux heures de grande écoute, vous devez vous abonner pas cher pour le minima, deux fois plus cher pour la totale!" Sinon c'est gratuit, mais il ne faut plus que l'envie de regarder vous prenne à certaines heures. Culotté, quand on sait que France5 remplit sa grille de programme par de nombreuses rediffusions.

Mais j'ai trouvé cela formidable. Grâce au financement, même trop maigre, de la redevance audiovisuelle,  France Télévision faisant feu de tout bois, a trouvé le moyen de se payer un génie, un créatif, peut-être a-t-elle rémunéré aussi tout un service ad-hoc, pour inventer et développer cette idée sublime : la tarification des services publics gratuits pour tout le monde aux heures de pointe. Enfin une innovation dans le domaine des NTIC! Une nouvelle économie est en train de naître. Soyons fiers d'être Français et investissons nos impôts dans les écoles de commerce! Car moi, subitement j'ai plein d'idées nouvelles, et cela ne m'était pas arrivé depuis longtemps : ça sent bon la relance.

Par exemple, je propose de subventionner le démarrage d'un nouveau service révolutionnaire par la taxation des moins-values qui aura au moins la vertu, d'inciter les losers à faire mieux, au lieu de se plaindre, s'ils ne veulent pas payer. Le service s’appellera "Pourliche prémium" avec la formule simple et la totale. 

Voilà! Vous n'avez plus envie de faire la queue à la mairie ou la Poste, avec l'abonnement Pourliche premium; vous êtes prioritaire et vous grillez tout le monde. Avec l'option totale, qui vous coûtera seulement deux fois plus chère, vous avez en plus le droit de faire un doigt d'honneur à la foule des jaloux. De même, le périphérique est bouché, engorgé, il vomit des autos comme un bouche d'égouts qui déborde, et il vous semble que vous n'avez pas que cela à faire. Avec l'abonnement simple vous empruntez la bande d'arrêt d'urgence, avec la totale, vous répondez aux coups de klaxon par une série d'insultes que nous avons concoctée pour vous. Nous avons la série mépris, du genre : "Regarde moi ça! Tous ces gens qui seront retard au boulot! Si c'est pas malheureux..." La série très colorées des "ta mère", nous avons du misogyne, de l'homophobe, du raciste! Que du grossier mis à jour en temps réel, à l’affût de toutes les innovations dans le genre (argot, verlan, rage de dents). L'imagination n'a aucune limite dans ce domaine : Pourliche premium non plus!

Nous allons rapidement nous déployer dans tous les services publics, faciliter le travail de la police, de la justice ou de l'éducation nationale. Plus nous serons nombreux, moins les fonctionnaires pourront se consacrer à cette masse informe des autres qui leur font perdre un temps précieux. Pour réussir à l'école, pour réussir des études supérieures, Pourliche premium s'associe aux plus grands professeurs de notre pays et à une marque de lessive. Glissez votre abonnement dans la copie d'examen et Pourliche premium vous accorde votre diplôme avec ses félicitations : avec la formule simple, la marque de notre sponsor apparaît en filigrane délicat sur le document officiel ; avec la formule totale, vos palmes sont garanties en toute discrétion.

Comme vous hésitez peut-être encore à nous rejoindre, et que vous pensez à juste titre, que lorsqu'on a goûté à Pourliche premium une fois, on ne peut plus s'en passer, si vous craignez de tomber de haut, le jour où pour un service public quelconque vous n'auriez pas pensé à souscrire un abonnement, nous avons mis au point avec la complicité des plus hauts commis de l'état, une adhésion globale
dont la simplicité et l'évidence ne pourra que finir de vous convaincre.

Pourliche global sérénité a été conçu pour les personnes qui, comme vous, souhaitent cultiver les avantages de ces nouveaux savoir vivre sans mesquinerie. Tous les mois Pourliche global sérénité prélèvera en douceur à la date qui vous convient,  50% de vos revenu, pour un service tout compris, à valoir dans tous les services publics sans distinction et sans modération. Vous obtenez la priorité universelle, le sésame de la VIP, le détachement complet des Very Important Emmerdements. Pourliche global l'a fait pour vous! Car Pourliche global est un service public comme les autres, œuvrant sans relâche pour la démocratisation des manières de l'oligarchie toute puissante. Oligarchie pour tous est notre plus chère devise. Que chacun puisse se comporter au quotidien comme un nouveau riche, ou comme un milliardaire, fonde l'horizon de notre action. Et nous pouvons encore aller plus loin ; il reste encore tant à faire...

Nous réservons Pourliche global double fidélité au cercle intime de ceux qui resteraient dans une insatisfaction relative sans une priorité sur les prioritaires. C'est aujourd'hui le must de notre gamme qui ne manquera pas de s'élargir. Vous apprécierez alors la fluidité de l'accès à tout, le comblement du "tout! tout de suite!", le confort de l'exclusivité, la jouissance de la propriété d'autrui, l'acquisition à l'international d'un titre de votre choix, Monseigneur, Maître, Excellence, Dieu. Vous aurez tout, juste en doublant la prime de l'adhésion simple.

Rejoignez-nous ! Profitez des privilèges offert par la nouveauté de ce service, n'attendez pas notre montée en puissance, vous méritez de faire partie des précurseurs! Avec notre dernière formule, vous avez une chance unique a saisir : car pour l'instant nous ne sommes qu'un, mais cela ne devrait pas durer longtemps!


mardi 15 janvier 2013

Dreamlands

Cela fait 918 jours que l'aventureux Olivier Hodasawa est sur la route et qu'il vagabonde à travers le monde : une véritable fabrique à souvenirs. Il tient un carnet de voyage sur un blog : dreamlands . On peut l'accompagner un moment : s'évader un peu avec lui, sentir les vapeurs d'essence de sa vieille caisse pourrie, s'arrêter au milieu de nul part, dormir n'importe où, et se bourrer la gueule avant de faire le plein de photos plus ou moins réussies, rêver un peu ensemble quoi! Et vite rentrer à la maison... Car Olivier est comme nous, il s'embête au bureau, et affalé sur son ordinateur avec google earth et google tout court, il nous emmène loin, très loin...

vendredi 11 janvier 2013

Le rectorat

Z marche sur le parvis du rectorat. Il observe une fille qui se dirige vers lui sur un vélo écolo à panier. Sa jupe trousse et retrousse dévoilant des jambes lisses et dorées. Un homme qui passe près de là, aborde la demoiselle : "Eh ! Tu me fais faire un tour ?" La fille ne répond pas. Et Z, qui a observé la scène, de conclure par une pensée énigmatique : "A trois sur un vélo ? Ça ne marcherait jamais."

C'est la rentrée des classes en septembre 1991. Les enseignants remplaçants de collège et de lycée, les maîtres auxiliaires, vivent la pire des angoisses ; leur grand avenir, leur devenir, leur carrière vont se jouer sur quelques jours dans les bureaux secrets du rectorat. Seront-ils profs cette année encore ? Ont-ils encore une chance ? Assez de points ? Iront-ils ici ou plus loin ? Pour l'instant nul ne le sait encore. La coutume veut que l'on vienne s'enquérir sur place, pour montrer qu'on existe encore, qu'on a toujours une forme humaine, qu'on n'est pas qu'un avatar du barème d'affectation. Qui seront les nominés ?

Un rectorat c'est beau. Beau comme une tour de verre rongée de galeries tortueuses. On s'y hisse dans des puits de pédagogie creusés par des vers au teint pale presque  transparent. On aime à fourmiller sous des montagnes de paperasses tamponnées à l'encre rouge, et qui rendent du même coup la tour de cristal, parfaitement opaque.

Z fait partie de ces jeunes profs qui arrivent. Il sait que derrière les vitres du rectorat deux mille yeux le regardent, le scrutent, le jaugent, l'évaluent. Il sait que pour l'enseignement, il n'est pas vraiment au point. Mais il a confiance. Il sait qu'il grandira.

En croisant un inspecteur moulé dans un costume de contrôleur SNCF, allant d'un pas vif qui rase les murs, et, qui contrebalance avec grâce la charge d'une serviette en cuir lourde d'éloges et de blâmes, il ne doute pas que ce dernier, fût à ses débuts aussi, un glandeur incompétent que l'institution a su fondre, couler et polir dans sa forge.

Z, à l'image des autres s'était dit après une journée de gueule de bois : "Je change de filière : finie la galère avec les potes, j'ai décidé d'être un professeur ! Moi aussi, je veux devenir un maître !"

Et ce sont ces grandes résolutions, légères mais pleines d'espérances, qu'il vient depuis, porter au rectorat. Z y entre et accélère le pas. Une dame d'aiguillage affolée par le brutal déplacement d'air le hèle alors sans ménagement :

- Hep vous !
- Oui moi ?
- Vous ne savez pas qu'il faut vous annoncer et dire où vous allez ?
 Z hésite :
- Non, euh... Oui! Euh... Enfin d'habitude...
Elle renchérit :
- D'habitude ou pas, il faut dire où vous allez.
Troublé il bafouille encore :
- Eh bien... C'est à dire... Je vais au bureau euh...
Elle le coupe et reprend le plus sèchement qu'elle peut.
- Allez-y.
- Mais en fait, je crois que je ne sais pas où c'est.
Entre agacement et triomphe :
- Mais, dites-moi monsieur, qu'est-ce que vous recherchez ?
La réponse est gémie plus que cinglée, mais finalement un peu tout à la fois :
- Mais du travail, madame ! Je suis en fin de droit, moi !
La dame compatit et dégonfle la voilure, se sentant soumise à des arguments trop terre à terre :
- Pfouit ! Le Bureau des maîtres, le bureau 312, c'est par là.

Mince ! L'ordinateur a mangé la fin de l'histoire : on ne connaîtra donc jamais la fin ! A moins que...

vendredi 12 novembre 2010

Napalme académy

Z marche sur le parvis du rectorat. Il observe une fille qui se dirige vers lui. Elle se trémousse sur un vélo écolo avec panier. Sa jupe courte et légère trousse et retrousse au gré d'un vent joueur. Ses jambes sont dorées à souhait et Z se régale. Un jeune homme près de là, aborde la jolie pédaleuse : "Eh ! Tu me fais faire un tour ?" La fille ne répond pas. Et Z de conclure dans la fulgurance d'une pensée énigmatique : "A trois sur un vélo ? Ça ne marcherait jamais."

C'est la rentrée des classes de septembre 1991. Les enseignants remplaçants de collège et de lycée, les maîtres auxiliaires, vivent la pire des angoisses ; leur grand avenir, leur devenir, leur carrière va se jouer en quelques jours dans les bureaux du rectorat. Seront-ils profs cette année encore ? Ont-ils encore une chance ? Assez de points ? Iront-ils ici ou plus loin ? Pour l'instant nul ne le sait encore. La coutume veut que l'on vienne s'enquérir sur place, pour montrer qu'on existe encore, qu'on a toujours une forme humaine, qu'on n'est pas seulement un avatar du barème d'affectation. Qui seront les nominés ?

Un rectorat c'est beau. C'est une tour de verre rongée de galeries tortueuses. Des vers transparents creusent minutieusement ces cavités. Ils fourmillent en tous endroits sous des montagnes de paperasses tamponnées d'encre rouge. La tour opulente est du même coup, rendue parfaitement opaque.

Z fait partie de ces jeunes profs qui arrivent. Il sait que derrière les vitres du rectorat deux milles yeux le regardent, le scrutent, le jaugent, l'évaluent. Il sait que pour l'enseignement il n'est pas vraiment au point. Mais il a confiance. Il sait qu'il grandira. En croisant un inspecteur moulé dans un costume de contrôleur SNCF, en accompagnant du regard ce pas vif qui rase les murs et, en imaginant un déséquilibre abscons contrebalancé avec grâce par le poids de la serviette en cuir lourde d'éloges et de blâmes, Z ne doute pas que ce zélé fonctionnaire, fût à ses débuts aussi, un glandeur incompétent, et que l'institution a su le fondre, le couler et le polir dans sa forge.

Z s'était dit un midi de gueule de bois : "Je vais changer de filière : finie la galère avec les potes, j'ai décidé d'être un professeur, moi aussi et moi-même, nous allons ensembles nous faire maître !" Et ce sont ces grandes résolutions, légères mais pleines d'espérances, qu'il vient depuis lors, porter à cette noble institution académique, en période de rentrée ou entre deux contrats.

Z entre dans le bâtiment et accélère le pas. Une dame d'aiguillage affolée par le brutal déplacement d'air le hèle alors sans ménagement :
- Hep vous !
- Oui moi ?
- Vous ne savez pas qu'il faut vous annoncer et dire où vous allez ?
Z hésite :
- Non, euh... Oui ! Euh... Enfin d'habitude...
Elle renchérit :
- D'habitude ou pas, il faut dire où vous allez.
Troublé il hésite encore :
- Eh bien... C'est à dire... Je vais au bureau euh...
Elle le coupe et reprend consciencieusement.
- Allez-y !
Il s'engage puis fait volte face :
- Mais en fait, je crois que je ne sais pas où c'est.
Entre agacement et triomphe, la dame semblant elle-même se creuser les méninges :
- Mais, dites-moi monsieur, qu'est-ce que vous recherchez ?
La réponse cingle et gémit tout à la fois :
- Mais du travail, madame ! Je suis en fin de droits, moi !
La dame compatit et dégonfle la voilure face à des arguments si terre à terre :
- Pfouit ! Le Bureau des maîtres est au troisième...
Puis après ce clapotis elle se reprend :
- Mais il faut revenir demain parce qu'aujourd'hui ils se sont enfermés à clé de l'intérieur.
Z sursaute :
- Comment ça enfermés les maîtres ? Traitrise ! J'accours...
- Mais non, rassurez-vous, pas les maîtres, ce sont les recruteurs de maîtres qui se sont enfermés ; pour recruter les maîtres !
- Alors comment faire ? Il faut que je les appelle au téléphone ?
- Impossible ! Ils ne répondent pas non plus au téléphone.

Dring ! Un téléphone a sonné tout près de la dame. Elle répond avec une moue dubitative, puis demande :
- Est-ce vous monsieur Z ?
- C'est pour moi ?
- C'est pour vous.
- Allo !... Ah ! Vous m'attendez ! Non, rien : une petite affaire à régler... Bureau 312, troisième étage, au secrétariat... J'arrive tout de suite, je ne serai pas long.

Si bien aiguillé, Z prend congés sans un "quoi", un "qui", ou un "comment", séance tenante pour ainsi dire et ne faire perdre de temps à personne. Une fois sur place, au milieu du couloir se tient la secrétaire, adossée à la porte de son bureau, s'agrippant d'une main à des dossiers, de l'autre à la poignée de la porte qu'on imagine donner directement sur l'aréopage de recruteurs affairés. La professeure de russe accourue là plus vite que Z, invective déjà la gardienne du temple. Elle est brune, si brune, et vocifère si troublamment :
- Donnez-moi mon argent ! Ma paye ! J'ai fait mon travail, vous m'avez volé...
La secrétaire sur la défensive :
- Mais c'est marqué là qu'on vous a déjà payé !
- C'est vrai ! Mais qu'à moitié.
- On ne vous a donné que la moitié des billets ?
- Oui ! Des billets coupés en deux !
- Pas d'inquiétude ! L'autre moitié a du rester par là... Mais Madame Visse a dû certainement tout mélangé. Alors ce que vous faites : vous relevez soigneusement chaque numéro de vos liasses, vous remplissez le formulaire ad-hoc que je vais vous donner, vous transmettez au comptable qui pourra certainement vous verser une avance s'il rentre en bonne santé de ses vacances et ne se met pas en maladie...

Et la belle professeure de russe, ne trouvant pas là rustine pour colmater ses dettes et d'autant moins, ses projets de dettes s'est évanouie comme déchirée par le milieu. Z l'a retenue par un maître réflexe dans ses bras novices et auxiliaires. Aussitôt ses mains sont solidaires de cette peau blême posée contre la sienne et qu'il soigne avec ardeur.

La secrétaire, pressée :
- Et vous ? C'est pour quoi ?
- C'est Monsieur Z, on m'a téléphoné...
- Suivez-moi, je crois qu'ils ont ouvert la porte là-bas.
- Fonçons !
Des chuchotements à peine audibles s'échangent à travers cette autre porte, et la secrétaire de plus en plus sur le qui-vive au fur et à mesure qu'elle s'éloigne de ses bases, balance :
- Elle veut bien vous recevoir, mais dans le couloir. Patientez là !

La porte s'entre-ouvre à peine, quelqu'un sort et dit : "Monsieur Z, vous commencez demain à 8h00 avec un contrat d'un mois. Prenez-ça !" Et elle tend un papier, puis la personne disparait aussi sec.

Z et la professeure de russe s'alanguissent scotchés l'un contre l'autre, seuls dans ce couloir du rectorat. Tendrement Z semble regarder sa femme, comme les amants se regardent sur le quai d'une gare après une nuit trop courte :
- Tu as entendu ma chérie, je vais travailler. J'ai trouvé du travail.
- Oui.
- On pourra avoir des enfants et les élever pendant un mois ! Un mois renouvelable !
- Je hais les enfants !
- Moi aussi... Je crois franchement n'avoir plus rien à leur dire.

- Allons-nous en ! enchaîne la fille,
- Vite, car je travaille demain, a embrayé Z. Mais la prof de russe ne sortait pas indemne de ses expériences passées :
- Moi, je n'ai pas d'argent, et je ne travaille pas !
- Ma chérie, tu n'as qu'à te mettre en maladie.
- Oh ! Oui ! Mon chérie, en maladie !
- Je vais m'y mettre aussi et on sera heureux...
- Oui, heureux, sans argent, sans enfant, sans travail.

Des mots dits qui précipitent. L'état providence est au bord de la faillite. La pente devient trop raide et on n'a plus de frein. Le couloir du rectorat est devenu un entonnoir. La succession des portes closes convergent vers un point unique. Le décor plonge et prolonge les lignes de fuite jusqu'à ce que la perspective débouche dans un cul de sac. Le couple indolent accoquiné dans une impasse, se fait littéralement aspirer par un ascenseur qui sert de dévidoir.

Et lorsque la ventouse de la pieuvre administrative desserre enfin son étreinte, la vie s'écoule presque tranquillement de retour sur le parvis du rectorat. Une fille sur un vélo, écolo, s'arrête au niveau des deux fuyards et demande un chemin : un chemin pour se rendre au havre. Le havre au plus près. Pas la Normandie ! Mais la paix : se protéger du large, de la tempête qui gronde, de sa bave enragée. Car les mâchoires de l'anomie vont incessamment broyer les restes de cette tranquillité trompeuse. Un chemin ? le sien, le leur ? "Plongeons ! Et plongeons profond !" s'est alors écrié Z comme obsédé par le décolleté généreux qui lui parlait si bien de tant d'urgence. A trois juchés sur le vélo, Z aux anges entre deux anges, quelques tours de dérailleurs pour se mettre en direction de l'intersection où toutes les désillusions parallèles se rejoignent, et revenir sur le parvis du rectorat, retrouver tous les loosers de l'acédémie, attendre l'arrivée des méduses, attendre les électrochocs, renoncer puis recommencer.

- Ca ira mieux demain, dit sans grand entrain la professeure de russe.
- "Demain ?", ont répondu à l'unisson les académiciens de la paroisse assiégée.

jeudi 3 décembre 2009

Une fable d'organisation : version PDF

Si vous avez aimé le feuilleton publié sur ce blog, "Une fable d'organisation", cette histoire où il n'y a qu'un seul personnage, le Captain Kirk, et où il ne se passe presque rien, vous pouvez télécharger une version PDF légèrement corrigée, sous le titre La fable des biens communs en cliquant sur ce lien :La fable...version pdf.

Cette version est imprimable et offre un plus grand confort de lecture : vous verrez qu'il se passe quand même des choses dans cette histoire, surtout à la fin.

Vous pouvez aussi découvrir une autre histoire courte dans le même genre : GRANDS TRAVAUX ET PETITS BOULOTS

lundi 23 novembre 2009

Une fable d'ORGANISATION #12

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Épisode 9
Épisode 10
Épisode 11

Épisode 12 : Où on découvre l'immoralité de la fable.

Es-tu encore capable d'écouter les pensées d'un équipage ?

"J'ai bouché mes oreilles pour que mon bon capitaine puisse profiter du chant des sirenes.
J'ai fermé ma bouche pour ne pas gâcher sa toute puissance.
J'ai bouché mes narines pour l'accompagner jusqu'au bout du voyage.
J'ai fermé mes yeux pour ne pas succomber au mal de mer.
J'ai rendu mes tripes sens dessus dessous, mon estomac, mon coffre.
J'ai perdu l'envie de voir, d'écouter, de dire, de ressentir.
Ecoeuré, je n'ai pas voulu lire l'avenir dans cette mare de vomis."

Quand il y a du tangage dans l'ère, soit tu t'engages pour un peu plus d'air frais, soit tu dégages des vieux relents viciés.

FIN

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Biens communs by Thierry Nahon est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Paternité 2.0 France.

Une fable d'ORGANISATION #11

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Épisode 11 : Où on arrive enfin presqu'à destination.



Le bon Dieu d'ici bas avait été l'auteur, d'une alliance ancestrale avec un patriarche, désireux d'engendrer un peuple nombreux et prospère en enfantant, malgré son vieil âge, sa femme légitime, hélas stérile. Comme l'alliance réalisa ce désir et, comme on n'est jamais sûr à 100% de la filiation paternelle, toutes les lignées issues du vieil homme, par les demi-frères, les frères, puis par les frères de lait, les frères de sang, les amis, les amis des amis, les esclaves, les enfants du bon Dieu, et enfin par les fils spirituels, et ceux adoptés d'autres traditions, se débrouillèrent, par l'intermédiaire de diverses complications, à rejoindre la destinée de la grande famille. Tant et si bien, que génération après génération, tous les êtres du monde pouvaient revendiquer et réclamer l'héritage, l'incroyable croissance et prospérité, promise à l'unique aïeul.

Forcément l'indivision n'allait pas sans heurts. Les dites complications, les ruses des uns contre les autres, les manœuvres pas très catholiques pour entrer dans le giron, étaient incessamment commentées. Les théologiens, notaires de l'histoire, s'efforçaient de bannir les usurpateurs et de distribuer des ordres de priorité d'accès au lègue fabuleux. Les hérétiques avaient beau jeu de dénoncer la supercherie, la façon biaisée dont on avait interprété les origines, afin d'obtenir des privilèges indus et, à leur tour de s'enquérir de notaires pour entretenir la controverse. Qu'on ait tenté de résoudre ces problèmes insolubles par le dialogue, par la tolérance, par des procès, par la violence, par la guerre ou par tout autre action, toujours le sentiment d'avoir été floué réapparaissait. Et les choses allèrent ainsi. La distribution forcément inégalitaire du butin renforçait l'espoir et l'espérance d'un retournement de situation. Un jour viendra enfin, ce jour là révèlera l'essence même du droit et de la justice, les apparences seront balayées comme un vulgaire mensonge. On se sentait bafoué, mais on savait pourquoi et par qui, on pouvait œuvrer pour que l'ordre juste soit rétabli, ou accepter l'outrage par habitude.

Mais à force de démultiplication des ayant-droits, comme des notaires, à force de fortunes gaspillées ici, accumulées là, et cachées ailleurs, il pouvait arriver qu'au bout du compte, il ne reste plus grand chose à partager, et aussi plus beaucoup d'inspiration pour expliquer le pourquoi, et le comment. Ce cas de figure ultime avait bien sûr était prévu par les Conditions Générales de l'Alliance, mais avait été écrit en petit, de façon illisible et apocryphe. On avait anticipé qu'en embrassant le destin de l'humanité toute entière, le nombre ferait ployer la loi, et qu'un jour, toute logique d'attribution des parts deviendrait incohérente : trop d'oublis, trop de fables, trop de mauvaises habitudes, trop de nouveautés pour dessiner un cadastre un tant soit peu réaliste.

Les rédacteurs de l'alliance avaient donc imaginé les clauses d'un recommencement par tacite reconduction. Dans le cas où les notaires de tout bord pouvaient n'être plus à même de fixer quoi que ce soit, il devenait alors indispensable d'envisager de nouveaux termes selon lesquels les ayant-droits seraient reconduits ou pas. Ces derniers seront choisis parmi les seuls qui parviendront à décrypter les signes annonciateurs du renouveau, définis dans les annexes dudit contrat d'alliance, et seront propulsés dans un monde quasi céleste, beaucoup plus abouti que le précédent : était-ce le monde total des Captain Kirk ?

Ces temps derniers, les signes annonciateurs grouillaient presque comme de la vermine. Les océans se dilataient jusqu'à monter par dessus bord, et engloutissaient des navires. Le soleil happait de ses rayons les eaux douces et les forêts, les nuages crachaient des virus, les étoiles fonçaient sur la terre comme dans une improbable partie de pétanque. L'horizon lui-même s'était détraqué, devenu incertain, peu amène. Déboussolés, les hommes et les femmes des équipages semblaient devoir se battre contre une hydre redoutable : un monstre à plusieurs têtes qui repoussent en double quand on les coupe ; un monstre dont les haleines pestilentielles se répandent comme un mélange de pets foireux de vaches et de pots d'échappement ; un monstre qui a du venin dans le sang et qui empoisonne l'environnement de qui le fait couler. Les signes annonciateurs dénonçaient un monde de junkies, englué dans le marais des addictions, payant au prix fort leur dose d'illusions vitales, pour échapper à une réalité létale.


Les mailles des filets qui filtrent les océans retiennent aujourd'hui d'inquiétantes rumeurs. A trop jouer sur les dosages infinitésimaux entre l'intelligence et la bêtise, on raconte que certains des Captain Kirk ont déjà fait naufrage. On dit qu'ils ont disparu corps et âme, avec équipage et bagages. On entend aussi que d'autres capitaines ont été débarqués, ou jetés à la mer par des équipages inquiets et en colères. On a voulu expliquer que les choses allaient rentrer dans l'ordre, que les derniers évènements n'étaient dûs qu'à des propriétés jusque là peu connues de la bêtise. La bêtise qui, on vient de s'en rendre compte peu aussi précipiter, en profondeur, en surface et partout lorsqu'elle devient trop pure ! On allait sur le champ, remédier à ces fâcheux contretemps. Mais même à cette chimie, il semble qu'on ait fini de croire. On raconte aussi que des radeaux ivres dérivent à la surface des eaux, sans capitaine, sans port d'attache, sans destination, comme des embarcations orphelines. Une ile entière serait ainsi à la dérive en plein milieu de l'Atlantique, une banque de dettes à l'affut des dernières baleines.

Mais, le pire est à venir. On raconte que certains bâtiments débarrassés de leur encombrant capitaine, sont arrivés à bon port et ont gagné des victoires. On dit que dans certains cas, une forme d'intelligence collaborative peut jaillir du chaos de la bêtise, et même de celle qui atteint des profondeurs abyssales.

L'inquiétude est grandissante, mais la riposte est déjà engagée, car la crainte de voir cette dernière machination se généraliser a déclenché l'hostilité unanime des Captain Kirk. Unis par leur désarrois, ils rêvent encore d'allier de nouveau la bêtise et l'intelligence sur le même bateau. Aveuglés par leurs positions dominantes indestructibles, obnubilés par le devoir de servir de modèle et d'exemple aux masses qui s'agitent, convaincus de leurs justes droits d'héritage, ils ont choisi de breveter la propriété intellectuelle de la bêtise. Tout un programme à ne rater sous aucun prétexte !

A suivre...
La suite dans quelques heures, quelques jours, quelques mois ou jamais.

A venir l'épisode 12 : Où on découvre l'immoralité de la fable.


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