Z marche sur le parvis du rectorat. Il observe une fille qui se dirige vers lui sur un vélo écolo à panier. Sa jupe trousse et retrousse dévoilant des jambes lisses et dorées. Un homme qui passe près de là, aborde la demoiselle : "Eh ! Tu me fais faire un tour ?" La fille ne répond pas. Et Z, qui a observé la scène, de conclure par une pensée énigmatique : "A trois sur un vélo ? Ça ne marcherait jamais."
C'est la rentrée des classes en septembre 1991. Les enseignants remplaçants de collège et de lycée, les maîtres auxiliaires, vivent la pire des angoisses ; leur grand avenir, leur devenir, leur carrière vont se jouer sur quelques jours dans les bureaux secrets du rectorat. Seront-ils profs cette année encore ? Ont-ils encore une chance ? Assez de points ? Iront-ils ici ou plus loin ? Pour l'instant nul ne le sait encore. La coutume veut que l'on vienne s'enquérir sur place, pour montrer qu'on existe encore, qu'on a toujours une forme humaine, qu'on n'est pas qu'un avatar du barème d'affectation. Qui seront les nominés ?
Un rectorat c'est beau. Beau comme une tour de verre rongée de galeries tortueuses. On s'y hisse dans des puits de pédagogie creusés par des vers au teint pale presque transparent. On aime à fourmiller sous des montagnes de paperasses tamponnées à l'encre rouge, et qui rendent du même coup la tour de cristal, parfaitement opaque.
Z fait partie de ces jeunes profs qui arrivent. Il sait que derrière les vitres du rectorat deux mille yeux le regardent, le scrutent, le jaugent, l'évaluent. Il sait que pour l'enseignement, il n'est pas vraiment au point. Mais il a confiance. Il sait qu'il grandira.
En croisant un inspecteur moulé dans un costume de contrôleur SNCF, allant d'un pas vif qui rase les murs, et, qui contrebalance avec grâce la charge d'une serviette en cuir lourde d'éloges et de blâmes, il ne doute pas que ce dernier, fût à ses débuts aussi, un glandeur incompétent que l'institution a su fondre, couler et polir dans sa forge.
Z, à l'image des autres s'était dit après une journée de gueule de bois : "Je change de filière : finie la galère avec les potes, j'ai décidé d'être un professeur ! Moi aussi, je veux devenir un maître !"
Et ce sont ces grandes résolutions, légères mais pleines d'espérances, qu'il vient depuis, porter au rectorat. Z y entre et accélère le pas. Une dame d'aiguillage affolée par le brutal déplacement d'air le hèle alors sans ménagement :
- Hep vous !
- Oui moi ?
- Vous ne savez pas qu'il faut vous annoncer et dire où vous allez ?
Z hésite :
- Non, euh... Oui! Euh... Enfin d'habitude...
Elle renchérit :
- D'habitude ou pas, il faut dire où vous allez.
Troublé il bafouille encore :
- Eh bien... C'est à dire... Je vais au bureau euh...
Elle le coupe et reprend le plus sèchement qu'elle peut.
- Allez-y.
- Mais en fait, je crois que je ne sais pas où c'est.
Entre agacement et triomphe :
- Mais, dites-moi monsieur, qu'est-ce que vous recherchez ?
La réponse est gémie plus que cinglée, mais finalement un peu tout à la fois :
- Mais du travail, madame ! Je suis en fin de droit, moi !
La dame compatit et dégonfle la voilure, se sentant soumise à des arguments trop terre à terre :
- Pfouit ! Le Bureau des maîtres, le bureau 312, c'est par là.
Mince ! L'ordinateur a mangé la fin de l'histoire : on ne connaîtra donc jamais la fin ! A moins que...
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