mardi 15 décembre 2009

Grand emprunt

L'état va emprunter 10 milliards d'euros pour financer 10 projets d'avenir liés au développement de la recherche, de l'innovation et des universités. Le mécanisme est le suivant pour chaque projet : l'état emprunte sur le marché 1 milliard, qu'il reverse à un organisme universitaire. Celui-ci en dispose comme d'un capital donc il l'investit sur le marché, en rachetant l'emprunt d'état. Résultat : l'organisme universitaire récupère les intérêts de l'emprunt, environ 4%, soit 40 millions d'euros par ans. Mais comme ces intérêts, c'est l'état qui les doit, ce sont donc les contribuables, tous les contribuables qui financent en fait ces projets.

Qu'est-ce que cet argent finance ? On parle de grands pôles de compétence autonomes associant les universités, les grandes écoles, les établissements de la recherche, et les entreprises, autour des défis industriels générés par le développement prochain de "l'économie de la connaissance". Il est très probables qu'à travers les grandes écoles, les grands corps d'état (comme par exemple le corps des mines) associés aux groupes industriels nationaux prennent une part importante dans le pilotage de ces projets. Autrement dit cet emprunt va participer fortement au financement du secteur nucléaire, ou de celui des nanotechnologies. A priori, ce n'est pas un mal en soi, mais...

Il y a simplement et depuis longtemps des interrogations récurrentes sur les coûts et l'adéquation des politiques industrielles menées souvent d'une façon opaque par ces corps d'élite, et aussi une vrai difficulté à instaurer un débat démocratique comme une certaine transparence dans cette matière. Finalement cet impôt qui ne dit pas son nom, remporte à bon compte une adhésion forcée et massive de tous les citoyens, là où un débat démocratique sur la nature de la société, et de l'avenir qu'on souhaite construire ensemble serait source de clivages insurmontables.

La philosophie de cet emprunt montre que les enjeux actuels et futurs sont toujours implicitement liés à la capacité des états et des entreprises, à centraliser et à concentrer les pouvoirs, pour faire au mieux dans la compétition mondiale. L'argent va donc à l'excellence, sans que celle-ci ne soit bien définie (excellence des polytechniciens traders pour la multiplication des profits financiers ? Excellence du projet SuperPhénix ? Excellence dans la manipulation de ce que l'on fait des déchets nucléaires ?) et provient d'une certaine façon, de la médiocrité (la masse) la valeur dominante, et sûrement partagée par le plus grand nombre. Ce projet ne précise toujours pas ce que les états vont faire des professeurs ratés ou des chercheurs ratés, et de tous les ratés, exclus de fait du système depuis fort longtemps, et qui très certainement, s'il ne se trouvent pas dans le bon wagon, le seront de plus en plus. Tous ceux-là n'existent pas !

Ainsi donc, nous nous apprêtons à re-financer une concentration des pouvoirs financiers, économiques et politiques, cette même concentration qui est fortement remise en cause par une part importante de la société : remise en cause de ces fondements quant à la bonne marche du monde, remise en cause dans le creusement des inégalités, remise en cause quant à ces fondements démocratiques (on aurait pas d'autres choix), remise en cause de la capacité du système à intégrer des valeurs humaines, remise en cause de l'opacité qui autorise ceux qui savent à manipuler les autres.

A l'opposé d'autres solutions sont prônées, peut-être d'une façon utopique mais cela reste à discuter, et proposent d'envisager la créativité, l'innovation, le futur en impliquant beaucoup plus "les gens" médiocres ou pas dans cette construction. Plutôt que de déléguer à des "spécialistes" ce que devront être les moyens nécessaires pour demain, il s'agit de faire déjà avec ce que l'on a, avec qui l'on a, et d'encourager les gens à développer et à partager des solutions collectives aux problèmes qui se posent. Par exemple en développant des réseaux de production décentralisé d'énergie propre, ou en développant des logiciels libres, en émettant de nouvelles monnaies plus adaptés au type d'échanges qu'ils ont entre eux, en usant d'une manière autonomes les biens communs, sans référer à des logiques d'état ou de multinationales. Ces solutions ne sont, ni moins scientifiques, ni moins technologiques que les autres, elles sont simplement moins centralisatrices et préfèrent voir dans la fragmentation des expériences plus de richesse que dans le formatage concentrationnaire. L'inconvénient de cette vision du monde est essentiellement politique, puisqu'elle remet en cause la façon dont se fait la gestion des ressources humaines, au niveau national et bien au delà, et donc la façon dont s'est instituée la domination, des uns sur les autres à l'intérieur d'une société, de certaines firmes sur d'autres, de certains pays sur d'autres, au niveau mondial.

Ainsi ceux qui attendent de ces investissements les prémisses d'une révolution verte risquent de déchanter tant les impératifs économiques pourraient prendre le pas sur l'efficacité modèles innovants, ceux qui militent contre les concentrations économico-politico-industrielles devront passer à la caisse et participer au développement de ce qu'ils rejettent. Les investis, ceux qui prennent la lourde responsabilité de définir notre devenir et notre avenir, devront très sérieusement réfléchir aux manières de distribuer leurs profits (s'ils en font) afin d'intégrer les gens, même les ratés dans leur projet (vaste problème). Nul ne consentira à des sacrifice pour construire un monde d'où il est exclu, à moins que les progrès de la technologie dans laquelle on investit ne permette à terme un contrôle totalitaire des dominants sur les dominés.

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