lundi 16 novembre 2009

Une fable d'ORGANISATION #9

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Épisode 9 : Où on découvre la grandeur de s'éclairer à la vessie et de se soulager à la lanterne.

Quand les défaillances apparentes d'un système permettent d'atteindre de meilleurs rendements, il n'y a plus jamais de quoi s'inquiéter. Autant ne plus toucher à rien : laisser le charme agir. On peut encore à la rigueur élaborer des théories pauvres, histoire d'avoir quelque chose à dire.

Le Captain Kirk aurait pu prétendre que son entreprise renouait avec des lois naturelles oubliées, et il ne s'était pas privé de le faire. Il parlait souvent d'une sorte de code génétique de la gagne, d'une forme de sélection qui renforce les plus forts et disqualifie les plus faibles. Plus les problèmes étaient importants et difficiles à surmonter, plus l'adaptation nécessaire était complexe et sélective ; et par conséquent, plus le commandant était confronté à des problèmes insolubles qui le dépassaient et qui se résolvaient d'eux-mêmes, plus il se sentait fort, élu, héritier du génotype de la gagne, promoteur d'un éco-système infaillible.

A la tête d'un éco-système auto-réglé pour aller dans le bon sens, le danger principal qui guettait le Captain Kirk était l'ennui : celui de couler des jours heureux, doucereux, et chacun sait que ce type de bonheur n'est pas franchement exaltant. Pour l'équilibre d'ensemble de l'embarcation, il était d'ailleurs souhaitable, que l'esprit de croisière ne soit pas confondu à celui de compétition. Là encore, il fallait savoir manœuvrer les esprits avec maestria et brio, et respecter les doses prescrites. L'enjeu consistait dans le mariage du divertissement, celui d'une croisière réussie, à l'héroïque épopée pleine de périls et de rebondissements, celle de la lutte pour la vie. Il était du meilleur gout de l'emporter comme dans un fauteuil, à la seule condition qu'une enquête fouillée pût révéler les aspérités du dit fauteuil, son histoire troublante, un mystère, un conte pour initiés ayant tout à dire sur la condition humaine. On ne sort jamais indemne de tels carambolages. Le Captain Kirk devenait beau comme une image et se sentait efficace comme jamais. Il se transformait en relique sacrée et s'éprouvait dans la banalité quotidienne comme le dernier des cons venus.

Le Captain Kirk s'amusait comme un petit fou dans ses salons flottants. Il faisait fi du danger, esquivait les coups du sort, rusait face à la fatalité. Il se laissait d'abord guider par son instinct, par des intuitions ultimes qu'on sort comme des bottes imparables, et qui procurent les plus belles victoires. Il était passé maître dans l'art de la confession, ce qui consistait dans la distillation de confidences alambiquées sur la manière dont les expériences étaient vécues, les réussites, les échecs, les joies, les peines, les petits et les grands secrets. Il en profitait pour mettre particulièrement en avant son sens des responsabilités, sa vocation, profondément ancrée au plus profond de lui-même, quasiment depuis le jour de sa naissance.

Il parlait parfois des efforts accomplis, mais préférait disserter sur le plaisir qu'il prenait pour mener sa barque, même dans les situations les plus périlleuses. Ce plaisir s'enracinait selon lui, dans une forme d'art, de talent rare, ni le fruit du hasard, ni quelque chose de vraiment appris, comme une sorte de don que la providence lui aurait confié : tout simplement, le sens du bon sens. Il savait donner le sens, et ne se trompait jamais, une qualité précieuse pour barrer dans la tourmente. Grâce à ce don, il osait s'aventurer et explorer des régions où le sens s'atténuait, aller se ressourcer dans les non-sens. Il disait disposer d'une acuité très spéciale pour percevoir dans la confusion des contraires, un potentiel d'innovation et de création.

Le Captain Kirk faisait partie de cette espèce d'hommes qui remontent les courants, reculent jusqu'aux origines pour nourrir d'un trait l'essor d'une marche forcée vers des avenirs radieux. Il savait faire volte-face sans jamais se retourner. D'avoir traqué en son temps la perfection matérielle, cette quête vaine lui avait permis d'accéder presque par inadvertance à sa propre plénitude. Sa réalisation personnelle n'était pas parfaite, mais complète et comblée. Il avait simplement substitué à l'ennuyeuse raison philosophique, l'émerveillement de la raison sociale. Il était devenu l'apôtre minimaliste du sentiment légitime d'avoir, tout simplement et dans le plus extrême dénuement, raison. La raison n'est ni pure, ni impure, elle ne tient qu'à l'évidence d'un don qui fait le sens. Une tautologie pour les incrédules, une raison totale, totalitaire, ou globalisée dans sa version light, matrice de l'orgueil absolu.

A suivre...
La suite dans quelques heures, quelques jours, quelques mois ou jamais.

A venir l'épisode 10 : Où on découvre que Dieu est descendu d'un étage.

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