vendredi 11 octobre 2013

On se comporte comme des bactéries



Albert-László Barabási est un physicien, spécialiste des réseaux à Northeastern University et à Harvard Medical School. Il est l'auteur de “Bursts: The Hidden Patterns Behind Everything We Do.” Qu'on peut traduire par : "Eclats : les patrons (modèles) cachés derrière tout ce que nous faisons". Dans un article récent paru dans Politico, il explique clairement que le projet de son équipe de recherche serait de faire émerger les lois mathématiques qui régissent la société au sens large :
For researchers involved in basic science, like myself, Big Data is the Holy Grail: It promises to unearth the mathematical laws that govern society at large.
Et que son équipe serait en train d'y parvenir en étudiant de façon anonyme les données de plusieurs millions d'utilisateurs de téléphones portables. Il confirme donc que les big data peuvent servir à quantifier la probabilité du comportement quotidien de tout un chacun.
Motivated by this challenge, my lab has spent much of the past decade studying the activity patterns of millions of mobile phone consumers, relying on call patterns provided by mobile phone companies. In a series of research papers published in the journals Science and Nature, my team confirmed the promise of Big Data by quantifying the predictability of our daily patterns...
Finalement, nous ne serions que des bactéries avec des comportements un peu plus complexes. Nous serions nous aussi gouvernés par les mathématiques, par les statistiques (donc à la limite pas besoin de gouvernement ni de société). Cet éminent chercheur se rend toutefois compte que cette avancée dans la prédictibilité des comportements pose des problèmes éthiques.  Prévoir les comportement c'est bien, mais ça dépend pour quoi en faire ! Et donc, il envisage dans cet article d'adapter le traité de non prolifération des armes nucléaires à la gestion des big data : nous savons que nous fonctionnons comme des bactéries, mais si nous tirons toutes les conséquences techniques, sociétales et scientifiques de ce savoir, nous allons tous à coup sûr nous transformer en bactéries. Pour pallier à cette menace, il propose donc un partage des connaissances sur les utilisations qui peuvent être faites des big data, un mécanisme éthique permettant d'équilibrer la terreur. Si j'acquière trop de puissance vis à vis du comportement des bactéries, elles vont la retourner contre moi parce qu'on partage les mêmes connaissance, et donc logiquement je me tourne vers des politiques plus mesurées et équilibrées.

En apparence, c'est bien, mais dans ce cas là, finalement le partage des connaissances n'est lié qu'à la terreur qu'inspire ces connaissances. L'équilibre est fondé sur la terreur que nous inspire la puissance des mathématiques et des algorithmes. Les bombes atomiques, on les confie à des experts de l'Etat parce qu'on a une certaine idée de nous (le peuple de l'Etat) face aux autres. Faire peur aux autres qui eux mêmes nous font peur ne constitue pas en soi un équilibre mathématique. Dans le cas des big data et des connaissances partagés il n'est pas seulement question de nous face aux autres, mais surtout de nous face à nous-même. "Nous ne sommes que des bactéries pour les autres, qui d'ailleurs le sont pour nous", mais on va faire comme si tout cela, on ne le savait pas, tellement l'idée nous fait peur et d'ailleurs bien plus que l'ignorance. Mais comme on le sait, on va surveiller les autres qui nous surveillent : Une façon de dire que le savoir est nécessaire mais totalement invivable, sans une bonne dose de croyance dans des illusions scientifiques.

En effet quelle science fondamentale pouvons nous tirer du fait que la technologie, les modèles numériques auxquels nous devons nous plier dans la vie de tous les jours et au travail, les téléphones portables, internet, génèrent de plus en plus des gens dont la diversité des comportements est aussi prévisible que ceux de simples bactéries. L'idée contraire serait surprenante. On en tire tout de même l'impression très rassurante que si les autres nous font peurs, si nous avons l'impression que tout fout le camp, si nous sommes inquiets pour l'avenir de nos enfants, il existe au moins un truc qui nous fascine, nous dépasse et parfois nous terrorise, et qui marche dans tous les domaines, comme Dieu le fît naguère : les maths et la technologie. Leur fonction est autant de fonctionner que de démontrer par eux-même et sans trop de références aux gents, la puissance potentiellement destructrice de leur fonctionnement, notamment à ceux qui ne serait pas totalement convaincu.



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