mardi 15 octobre 2013

Le mot culture #4


L'étymologie du mot culture remonte au latin cultura, qui se rapporte plus précisément à l’agriculture, aux soins portés à la terre. Au 16ème siècle, seulement, en Europe, le mot culture connote un peu du sens qu'on lui donne aujourd'hui. Il est employé dans le sens de « se cultiver » pour donner la pleine mesure de soi-même, de son talent (pour peindre, pour raconter, pour apprécier...). Cet usage du mot va se généraliser, et au 18éme siècle, la culture désigne plus précisément la formation de l’esprit : la culture devient la ressource nécessaire au raisonnement.
Aujourd'hui le terme est employé à tout propos pour désigner toutes sortes de phénomènes de nature très différente.

Les idées, ou certaines idées que nous avons aujourd'hui à propos de ce que nous nommons culture, les philosophes de l'antiquité les exprimaient dans une réflexion sur les modes de vie (bios), ou alors lorsqu'il s'agit des autres (des non-Grecs, non-Romains, le terme utilisé était alors plutôt ethnos (littéralement nation, peuple). Ce dernier mot désigne les autres, les autres "peuples" qui partagent entre eux la même langue, les mêmes rites ou les mêmes coutumes. L'église catholique, d'ailleurs utilisait le terme Ethnikum pour désigner les peuples païens.

L'usage actuel et courant du mot culture mêle ces deux acceptions : une sorte de métaphore de l'agriculture appliquée à l'éducation, à la formation de l'esprit, qui se cultive, s'entretient comme un jardin dont on souhaite récolter les fruits, et, la désignation de l'autre par rapport à des différences dans le mode de vie, les habitudes, les rites, les croyances. Le terme parvient à désigner toutes les différences d'attitude et de comportement observées dans nos sociétés.

La notion de culture et idéologie
L'évolution du sens et de l'usage du mot culture s'établit sur un plan à la fois historique et philosophique.
Pour la philosophie des Lumières, la culture se rajoute à la nature, et permet de distinguer l’homme de l’animal (le propre de l'homme) d'où la nécessité de former son esprit (cultivé s'oppose à sauvage) : la culture est liée à la raison humaine , permet de se libérer de l’irrationnel ou de l’obscurantisme. L'idée de civilisation et de degré d’évolution ou d’avancement dans l’échelle des progrès de l'humanité constitue son corollaire, et va permettre d'expliquer les différences entre les hommes et entre les peuples, notamment en établissant des hiérarchies, supérieur, inférieur. Les degrés de culture pourraient de cette manière participer à la justification des hiérarchies sociales et politiques, à la place du droit divin.

En Allemagne dès 18e siècle, le mot Kultur se confond avec l’idée de nation allemande dans son ensemble. La jeune nation Allemande est considérée comme correspondant au plus haut degré de civilisation. La Kultur est la source d'une glorification nationale.

De la même façon, en France, à la même époque, le mot culture prend le sens et a tendance à se confondre avec le terme de civilisation. L'usage qui est fait du mot connote de plus en plus l’idée d’une sorte d'unité humaine qui l'emporte sur la diversité : l'idée d'un cheminement vers une humanité universelle. La France et le monde occidental dans son ensemble vont être longtemps marqués par ces conceptions du mot. L’idée qu’il existe une sorte d'universalité de la culture, engage dans un certain prosélytisme : envoi de missionnaires pour "civiliser", mais aussi développement de l'éducation. Aussi, elle participe à la question de l'explication des différences entre les peuples, différences d'accès à l'universel, qui ont donné naissance à des théories sur le lien entre degré de civilisation et pureté de la race. Bien entendu, les puissances européennes se sont alors représentées comme le creuset de cette culture universelle ou de cette civilisation.

La notion d'ethnie a suivi peu ou prou le même processus de transformation. Au 18ème siècle elle est popularisée par les intellectuels allemands un peu sur le modèle de l'ethnikum catholique mais tout simplement pour désigner les « non-civilisés », plutôt que les païens. A travers des thèses scientifiques, ou pseudo-scientifiques une confusion évidente apparaît entre les différences linguistiques ou de mode de vie, et les différences ethniques ou raciales.

On doit relever que l'évolution du sens du mot culture, n'est pas simplement une observation qui montre que la définition des mots n'est pas fixée pour l'éternité, mais qu'elle s'inscrit dans des enjeux politiques et idéologiques importants. Ainsi nous constatons un parallèle entre ces définitions nouvelles qui apparaissent au 18ème siècle et les grands événements qui marqueront le 19ème et le 20ème, par exemple le nazisme en Allemagne, et toute l'histoire de la colonisation. Finalement l'école gratuite et obligatoire, l'école laïque et républicaine, et ce qu'on y apprenait émane de cet idéal de la culture/civilisation. L'école a entre autres pour mission de civiliser les campagnes et les faubourgs ouvrier des villes...

Après la boucherie de la première guerre mondiale, les atrocités et la charcuterie de la seconde, s'est alors posée avec une acuité certaine, la question du pourquoi les plus hautes cultures civilisatrices, la civilisation la plus cultivée, la plus en phase avec la raison universelle, la plus sophistiquée qui soit, donnait lieu à autant de barbarie et à autant de destruction industrielle et massive. On s'est demandé, seulement entre philosophes, si les programmes scolaires devaient inculquer l'histoire en marche vers l'accomplissement de l'Humanité, ou l'histoire de la barbarie, l'histoire du développement ou celle de la crise, l'histoire de la révolution industrielle ou celle du réchauffement climatique... On s'est aussi posé la question de la mission civilisatrice que ces sociétés modernes s'étaient assignées auprès d'autres peuples.

Alors le sens du mot culture s'est relativisé, s'est dilué dans la diversité, dans la désignation des différences, presque comme un synonyme du terme ethnie. Un sociologue contemporain désigne la culture de notre temps, comme le "temps des tribus". Il ne vient à l'idée de personne de remettre en question l'idée de l'école du fait des dérives de ce qui a pu fonder le projet initial. L'école, dans sa version laïque et républicaine, même si elle est contestée, est devenue une évidence, un repère, une référence dans la réalité du monde actuel. Sa fonction, ses programmes sont sans cesse réactualisés au gré des nouvelles donnes de la société et de l'évolution de nos conception du vivre ensemble et de la culture. Le modèle est envié et copié par d'autres nations. 

On voudrait inculquer aujourd'hui aux élèves, le goût de l'innovation, le risque, l'esprit d'entreprise, l'envie de différenciation plutôt que de routines, de s'investir tout entier dans une passion même très particulière, de savoir s'insérer dans des petits ensembles professionnels ultra spécialisés. On leur apprend que la diversité est une richesse, richesse au vue des échanges immatériels ou matériels qui peuvent se nouer.  Il s'agit de retrouver les autres en partant, en explorant dans toutes les directions. Il ne s'agit plus d'un chemin tracé, d'un retard à combler, d'un idéal commun à atteindre. 

On voudrait aussi que les élèves comprennent la culture de la nation avec tous ses symboles, et acceptent que cette version édulcorée de la culture/civilisation trône avec beaucoup de tolérance dans le respect des autres cultures. Mais les valeurs, les histoires, les mémoires, les symboles sont parfois tellement contradictoires, inconciliables qu'ils fragilisent la prépondérance d'une culture simplement centrale sur les périphériques (même lorsqu'il s'agit de cultures nouvelles qui n'ont rien à voir avec l'histoire). Par contre l'école donne une priorité à l'enseignement des mathématiques, des sciences, des nouvelles technologie. On parle de culture scientifique ou technologique. A travers la culture NTIC, régie par la logique universelle des algorithmes, se profilent des notions telles que la réalité augmentée, le transhumanisme, s'esquissent les solutions concrètes à tous les défis de la nature, de l'écologie et de la société mondialisée. On peut y trouver quelques similitude avec la conception classique de la civilisation.

Ce nouvel air de civilisation se joue à nouveau contre le pressentiment d'une catastrophe annoncée, d'une barbarie en ordre de bataille sur fond de surveillance généralisée, de puissance de machines qui prennent le contrôle, de pollutions nouvelles... Une sorte de résistance s'organise face des orientations trop univoques, trop absolus, trop définitives...

Les meilleurs élèves auront remarqué que l'universalité de cette civilisation du bit mondialisé, flirte avec des "désirs" de personnalisation, de différenciations à l'extrême, de refonte de la langue parlée dans les groupes scellés par une passion, un feeling de quartier, de lycée, d'appétit pour le tunning ou pourn d'autres choses. Cette refonte des mots, du vocabulaire, des façon de se vêtir ou d'afficher son profil public (marques, tatouages, percings), de mobi-loger, du domicile travail, ou de se désorganiser, illustre la créativité de la société, dont la tribalité confère aux pratiques surprenantes des papous. Elle s'accompagne d'échanges gratuits, de dons, d'informations, messages, photographies, vidéos, sons, services, d'adresses, de liens dans un rapport devenu obsédant aux smartphones.  Elle encourage des confrontations non violentes, des compétitions fondées sur une éthique sportive, au cours desquels se règlent des différends ; les tribus concurrentes se livrent une bataille de réputation, de notoriété, de popularité sans grande volonté "d'absorber" l'adversaire et de gommer ses différences.

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