Qu'y a t-il de
commun entre toutes les manières de vivre organisées sur notre
planète ?
La culture peut être considérée comme un principe
d'organisation social. En quelque sorte, une solution collective, type organisation des ressources humaines,
adoptée par un ensemble d'individus pour vivre ensemble d'une façon
voulue durable, et efficace. Nous devons noter toutefois l'extrême variabilité des modes de vie déployés par les hommes sur toute la
planète.
Les ethnologues (science qui a pour objet justement l'étude de ces
différences) ont montré, en appliquant une méthode permettant de comparer ces cultures entre elles, que la diversité des pratiques, autrement dit, des solutions adoptées pour résoudre les problèmes posés par la nature, pouvait être réduite, et qu'en fait, quatre universels culturels coexistaient au sein de toutes les cultures (comme quatre piliers autour desquels la diversité culturelle pouvait se développer).
La division du travail est un
élément culturel présent dans toutes les sociétés. Depuis la horde, la bande, très faiblement organisée, jusqu'aux
sociétés industrielles complexes, les groupes partagent entre leur
membres la responsabilité de mener à bien certaines tâches
particulières indispensables pour la survie du groupe dans son
ensemble : certains font la guerre, d'autres prient, d'autres
travaillent, certains sont chasseurs pendants que d'autres façonnent
leurs armes; etc..
A l'inverse, les
singes et les primate en général vivent aussi en groupes sociaux, mais
recherchent plutôt chacun leur propre nourriture, préparent leurs propre
couche, et vivent généralement pour eux-mêmes. Par contre, dans toutes les
sociétés humaines, les groupes partagent les responsabilités et
recherchent une complémentarité entre leurs membres. Toutes les
cultures distinguent au moins socialement, les hommes, des femmes, et les
adultes, des enfants. Ces distinctions organisent la base de la
division du travail. Dans toutes sociétés, il y a des tâches pour
femmes adultes, d'autres pour hommes adultes, d'autres pour les
enfants...
La prohibition de l'inceste, le
mariage, et la famille est un autre universel. Même si
ces élément peuvent apparaître dégrader aujourd'hui, au sein de sociétés modernes. Toutes les
sociétés humaines ont tendance à vouloir réguler les comportements
sexuels. Toutes les cultures tentent de définir des degrés
d'acceptabilité en matière conjugale. De même elles tentent
d'institutionnaliser le mariage par des lois ou des règles et des
par rituels.
La parenté est l’ensemble des liens qui relie les personnes d’une
même « famille », ainsi que les règles qui régissent ces liens
et attribuent à chacun une position particulière. La parenté est
généralement fondée sur des interdits (prohibition de l’inceste)
et implique des règles d’alliances ou de mariage qui empêchent ou
au contraire obligent les membres d’une famille à se marier avec
certaines personnes, faisant partie d’un même clan, ou d’un
autre clan allié. La parenté est ainsi à la base de la vie
sociale, puisqu’elle suppose toujours un minimum de règles
élémentaires nous liant les uns aux autres.
Les moeurs sexuels
varient beaucoup d'une culture à l'autre, mais toutes les cultures
partagent apparemment une valeur de base : les relations sexuelles
entre les parents et leurs enfants sont prohibées (la prohibition de l'inceste existe aussi chez les primates). Dans la
plupart des sociétés les contacts entre frères et soeurs sont
aussi interdits (à l'exception notable des mariage des familles
royales de l'Egypte ancienne et d'Hawaï, et aussi chez les Incas du Pérou.
Les rites de passages : toutes
les cultures reconnaissent des stades à travers lesquelles chaque
individu évolue tout au long de sa vie. certains de ces stades sont
marqués par des événement physiologique, comme les premières
menstruations pour les filles. D'autres sont désignés de façon plus
arbitraires. Les transitions importantes de la vie sont en général
marquées par des rituels appropriées. On peut citer, la naissance, le
passage à l'âge adulte, le mariage et la mort comme des points
nodaux de ces rites de passage.
L'idéologie : chaque culture
développe une idéologie, constituée par des valeurs et des
croyances communes qui cimentent le groupe. Certaines idéologies
s'expriment à travers la religions, d'autres sont plus sécularisées,
moins religieuses, plus laïques, plus inscrites dans la vie
quotidienne. Même si ces idéologies, ces croyances et ces valeurs
sont difficilement formulables de façon objective, elles sont sentie
en commun par le groupe comme des évidences, et elles restent importantes quant à
leurs conséquences. Elles donnent un sens à notre existence sociale,
un sens à notre vie.
Il est vrai, que ces constantes peuvent paraître nécessaires et indispensables à la vie d'un groupe, d'une société quelle qu'elle soit. Il est probable qu'au sein d'une communauté les tâches soient partagées, que la sexualité soit relativement encadrée, que des rites ou des cérémonie agrémentent certains moments importants et que la cohésion du groupe soit renforcée , et le groupe plus durable, si les membres partagent à peu près les mêmes valeurs. Si ces fonctions semblent faire un consensus, c'est bien la façon dont elles sont remplies, et donc la diversité qui nous intéresse plutôt. Car la division du travail, c'est par exemple, le mari à la chasse, la femme à la maison qui s'occupe de tout, et qui n'a pas trop intérêt à la ramener. Ou bien des catégories sociales exclues de certaines tâches, spécialisés dans des travaux ingrats. Les règles de la parenté cela peut consister dans le mariage forcé, les rites de passage peuvent s'effectuer selon des modalités extrêmement violentes (la violence étant inhérente au rituel), quand aux idéologies elles ne supportent pas la contradiction. Si ces constantes universelles semblent bien en effet constitutives de tous les groupes humain, c'est plus leur symbolique que leur fonction qui nous interpelle. Dans nos centres urbains, on aime à penser qu'au moins à l'échelle de petits groupes, de la famille, on peut envisager la division ou partage des tâches d'une façon plus fluide, moins déterministe, une liberté presque totale en matière sexuelle ou familiale, préconiser le débat contradictoire, plutôt que l'acceptation de schémas pré-établis. Aborder les éléments culturels par rapport à leur fonction supposée débouche sur une forme abstraite et figée qui en fait existe partout et en même temps n'existe nul part. La forme prime sur le fond. C'est la forme que prennent ces fonctions au sein des sociétés, leur différences, mais surtout leurs contradictions, comme leurs évolutions qui donnent du sens à la notion de culture. La différenciation envisagée comme un cheminement ou un processus, des individus entre eux comme du groupe envers d'autres groupes jouent un rôle sûrement aussi important que les constantes que nous venons d'énoncer.
Pour illustrer ce point nous pouvons rapidement survoler les cultures papoues de la Papouasie Nouvelle Guinée.
La Papouasie Nouvelle Guinée
Source : "Parle et je t'écouterais, Récits et traditions des Orokaïva de Papouasie-Nouvelle-Guinée" par André Itéanu et Eric Schwimmer, ed Gallimard
La Papouasie Nouvelle Guinée est
un pays d'une superficie à peu près
équivalente à celle de la France, situé
à 150 km au Nord de l'Australie, et indépendant depuis 1975. Cette île, à la latitude de l'équateur est recouverte d'une
végétation très dense et luxuriante, la forêt primaire. Des
vallées très escarpées rendent les communication très difficiles
et jusqu'aux années 70 certaines populations locales n'avaient
jamais rencontrer d'occidentaux. L'île est peuplée depuis plus de
trente mille ans.
Population et
langues
La population de
Papouasie Nouvelle Guinée regroupait environ 3 millions d'habitants dans les années 90. Un fractionnement extrême caractérise la géographie humaine de l'île. Dans ce pays, on parle plus de 700 langues
différentes, et ces langues pour la plupart, ne sont pas apparentées
entre elle. Il n'existe pas non plus d'homogénéité dans les manières
de vivre. Les pratiques
sociales varient d'une façon quasi illimitée d'une communauté à l'autre.
Quatre
traits sont toutefois partagés par toutes ces sociétés :
- Tous cultivent des jardins itinérant presque toujours travaillés par la technique du brûlis.
- On n'élève qu'un seul animal : le cochon, qui a partout une importance fondamentale à la fois en tant que viande, et à la fois en tant qu'objet d'échange pendant les fêtes.
- Toutes les sociétés pratiquent le don avec une intensité extrêmement forte : tout est prétexte au don qu'il soit modeste ou somptueux. Les dons sont omniprésents dans la pratique, mais aussi dans la pensée. Chacun mémorise, médite et discute des dons qu'on lui a faits, de ceux qu'il devra donner en retour, comme de ceux qui lui sont dû...
- La guerre est considérée comme une activité nécessaire, un plaisir, ou un jeu. Accompagné de cannibalisme ou pas, rarement motivée par la conquête, elle est endémique, mais reste toujours de dimension modeste. Un mort ou quelques blessés suffit à l'arrêter.
Organisation
politique
Dans ces sociétés
il n'existe pas d'institutions politiques centralisées comparables
aux nôtres. Pas de chefs, pas de dignitaires, pas de tribunaux, pas
de catégories sociales (à part les hommes et les femmes), pas de
conseil des anciens ou des sages, pas de police, pas de différences de fortune
durable et reconductible.
Dans des contextes
particuliers, certaines personnes peuvent occuper passagèrement des
positions de prestige. Mais on ne sait pas très bien de quoi est
faite leur autorité, on ne comprend pas très bien pourquoi à un
moment donné ces personnes sont devenus ce qu'on appelle des "Grands Hommes". En l'absence de pouvoir centralisé, nul ne peut être
contraint de reconnaître l'autorité d'autrui, mais chacun est
assigné à des tâches, à des responsabilités qu'il n'a d'autre
choix que de remplir.
Les langues et la
compréhension réciproque
700 langues sont
parlées dans ce pays. La plupart de ces langues sont parlées par les Papous et ne sont pas liées entre elles, d'après les linguistes.
Les papous selon
la langue qu'ils parlent ne se comprennent pas entre eux. Lorsqu'ils
se comprennent parce qu'ils parlent des langues proches (de la même
famille de langue), ils ne comprennent seulement des
conversations simples. En gros, chacun comprend plus ou moins la
langue de ces voisins avec lesquels sont conclus des mariages ou des
échanges, au delà de cette zone, la compréhension réciproque
devient problématique. Chaque dialecte marque la spécificité de
chaque population voisine.
Les dialectes et
le phénomène de différenciation
"Ca va plus loin.
Dans chaque dialecte le vocabulaire varie légèrement d'un village à
l'autre. Ces différences ont une origines tout à fait remarquable
dans la société orokaïva. Dans cette société, il est
formellement interdit de prononcer le nom des parents par alliance :
beau père, belle mère, beau-frère et belle-sœur. Etant donné que
parmi les multiples noms qu'une personne porte, il y en a toujours au
moins un qui désigne un objet ou une action, ce ou ces termes
deviennent prohibés pour la famille qui doit se débrouiller avec
d'autres mots. En plus l'interdiction peut s'élargir à des mots qui
ont une ressemblance phonétique, ou à des synonymes... Comme il est
courant que les habitant d'un même village soient tous liés entre
eux par la filiation et par le mariage, il est fréquent que certains
mots soient prohibés pour tous les habitants. Cette interdiction
touche donc à chaque fois un nombre important de mots qui sont
remplacés par des termes nouveaux. Les mots sont donc constamment
réinventés, et les anciens progressivement oubliés. Le phénomène
opère d'une manière étonnamment rapide." Itéanu p58
Cette culture présente donc des différence très importante avec celle que nous pensons partager notamment en France. Nous, nous ne tenons à parler qu'une seule
et même langue sur l'ensemble de notre territoire. Nous engageons
collectivement des moyens importants pour rendre cela possible car
cela nous semble à l'évidence plus pratique et plus rationnel. Nous
avons hérité de la société d'ancien régime, d'un pouvoir
centralisé qui seul semble en mesure de pérenniser le développement
de notre pays et de sa culture. Tous ces traits nous apparaissent
comme des évidences. Nous avons beaucoup de difficultés à
comprendre comment des traits diamétralement opposés aux nôtres
ont permis à d'autres populations d'autres cultures de perdurer
plusieurs milliers d'années, en parallèle avec le développement de
notre "civilisation". Nous nous sentons obligés d'émettre des
jugements de valeur : ça doit être compliqué, pas étonnant
qu'ils ne se soient développés comme nous, et d'émettre des
conseils, pour simplifier et rapprocher ces populations de nos
modèles (a priori pour leur bien).
Pourtant ce qui
nous apparaît dans un premier temps comme quelque chose d'exotique,
nous rappelle aussi qu'en Europe, société et culture à laquelle nous
appartenons aussi, au temps de la globalisation, de la
mondialisation, la question de la langue ou des langues régionales, et des particularismes locaux
se pose dans notre actualité comme un enjeu important. Par exemple en Espagne avec la Catalogne, au Pays Basque, la langue Corse ou le
Breton en France. Les médias posent aussi souvent la question de savoir si par exemple
le Français parlé dans certains quartiers reste encore du Français.
On se demande aussi s'il est possible de vivre dans une région, un
pays, dans une culture donnée sans en parler la langue.
Les mêmes
remarques peuvent être faites à propos de l'organisation sociale et
politique. Nous Français semblons attachés à une forme de pouvoir
central (l'état). Pourtant nous participons à l'élaboration d'un
projet européen qui consiste à réduire ce pouvoir, à construire
une société plus large (un marché) comprenant une multitude de
particularismes locaux qui s'affirment comme tels, une grande
communauté où nul ne pourrait être contraint par autrui sans le
préalable de longues négociations... La société libérale qui
résulte de ces accords est multiculturelle, multi-linguistique,
fragmentée en groupes sociaux qui définissent chacun leur mode de
vie, leurs valeurs, leurs raison de vivre, en complémentarité comme
en opposition, ou dans l'ignorance les uns des autres. La notion même
d'Etat semble être devenu ringarde, inutile, inadaptée aux
conditions de vie contemporaine. Peut-être alors que notre
adaptation à l'ultra modernité, ou post-modernité passe par des
notions, des modèles culturels que les sociétés papoues avaient
développés à une échelle plus réduite.
Dans les années
70, la société Papoue avait beaucoup intéressé les intellectuels
occidentaux justement par rapport à cette absence d'état. En effet
pour des penseurs marxistes, ou pour les anarchistes on observait concrètement
à travers ces sociétés traditionnelles, un modèle originel de
l'organisation sociale, avant qu'elle ne soit corrompu par la
domination d'une classe dominante sur les autres. L'idéal anarchiste
ou communiste d'une société sans état pouvait s'appuyer sur une
orientation originelle de l'humanité, déviée par la civilisation
et le capitalisme. Mais en se référant à la société papoue, une
société sans état, n'est pas une société sans loi ou sans règle
ou sans interdit. (une sorte de société spontanée type enfance de
l'humanité). Au contraire, la loi, les interdits, les règles à
suivre sont propre à chaque groupe, servent à les identifier, à
leur affirmation, à leur différenciation et sont suivis
drastiquement. Par des épreuves et par exemple par des tatouages elles s'inscrivent sur les corps, elles marquent les individus dans leur chair.
D'ailleurs toutes
les sociétés traditionnelles ne sont pas dépourvues d'état. Elles
sont du point de vue de leur organisation sociale et culturelle aussi
différentes les unes des autres, qu'elle nous apparaissent à nous
exotiques. D'autre part, si il est évident que la structure sociale
d'un petit groupe de personnes vivant dans la forêt est plus simple,
que l'ensemble constitué par des milliards d'individus connectés
entre eux par un réseau mondial, il est peu évident de tirer une
conclusion similaire en matière culturelle.
Le mode de vie des
"sociétés traditionnelles", quelle que soit la façon dont il nous
apparaît, n'est pas fondé sur une association spontanée, primaire,
ou primitive. Il n'est pas précaire non plus, car il se reproduit de
génération en génération. Il est au contraire fondé sur des
lois, des règles, des savoir-faire, des savoir-vivre, des savoirs,
des connaissances parfois extrêmement sophistiqués, en tout cas au
moins aussi complexes que les nôtres. Les différences culturelles
ne déterminent ni hiérarchie dans l'évolution des cultures, ni une
sorte de paradis perdu dont la civilisation se serait éloignée.
Claude Lévi Strauss parle à ce sujet de relativisme culturel.
Si un indien
d'Amérique auquel on aurait fourni une tronçonneuse ne coupera
qu'un seul arbre avant de profiter du temps gagner pour dormir ou se
reposer, ce n'est pas parce que l'indien est naturellement paresseux.
Dans son environnement, le repos permet une plus grande efficacité,
les rêves qui sont vécu comme la réalité véhiculent les conseils
des esprits auxquels il croit. Il adopte donc l'attitude la mieux
adaptée à son mode de vie. L'homme blanc par contre coupera avec sa
tronçonneuse autant d'arbres qu'il est possible de couper dans un
laps de temps donné parce qu'ils représentent autant d'argents, et
que dans la civilisation des blancs, on vit mieux lorsqu'on est riche
que lorsqu'on est pauvre. C'est aussi une façon de s'adapter à un
contexte particulier.
Nous débouchons
donc à nouveau sur une liaison entre la notion de culture et celle
d'adaptation à un milieu tant naturel que social. Les nombreuses
différences observées (manières différentes de s'adapter) peuvent
s'interpréter en regard de la capacité imaginative, inventive, ou
créative propre à chaque groupe humain. Nous avons vu que le côté
pragmatique ne suffit pas pour comprendre les différences. Certes
chacun répond à un problème avec sa créativité propre, mais nous
avons noté aussi l'importance donnée à nécessité de la
distinction : se distinguer des autres groupes, marquer son
identité, sa différence, son appartenance et sa fierté
d'appartenir.
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