Episode 1
Épisode 2
Épisode 3
Épisode 4
Épisode 5
Épisode 6
Épisode 7
Épisode 8
Épisode 9
Épisode 10
Épisode 11 : Où on arrive enfin presqu'à destination.
Le bon Dieu d'ici bas avait été l'auteur, d'une alliance ancestrale avec un patriarche, désireux d'engendrer un peuple nombreux et prospère en enfantant, malgré son vieil âge, sa femme légitime, hélas stérile. Comme l'alliance réalisa ce désir et, comme on n'est jamais sûr à 100% de la filiation paternelle, toutes les lignées issues du vieil homme, par les demi-frères, les frères, puis par les frères de lait, les frères de sang, les amis, les amis des amis, les esclaves, les enfants du bon Dieu, et enfin par les fils spirituels, et ceux adoptés d'autres traditions, se débrouillèrent, par l'intermédiaire de diverses complications, à rejoindre la destinée de la grande famille. Tant et si bien, que génération après génération, tous les êtres du monde pouvaient revendiquer et réclamer l'héritage, l'incroyable croissance et prospérité, promise à l'unique aïeul.
Forcément l'indivision n'allait pas sans heurts. Les dites complications, les ruses des uns contre les autres, les manœuvres pas très catholiques pour entrer dans le giron, étaient incessamment commentées. Les théologiens, notaires de l'histoire, s'efforçaient de bannir les usurpateurs et de distribuer des ordres de priorité d'accès au lègue fabuleux. Les hérétiques avaient beau jeu de dénoncer la supercherie, la façon biaisée dont on avait interprété les origines, afin d'obtenir des privilèges indus et, à leur tour de s'enquérir de notaires pour entretenir la controverse. Qu'on ait tenté de résoudre ces problèmes insolubles par le dialogue, par la tolérance, par des procès, par la violence, par la guerre ou par tout autre action, toujours le sentiment d'avoir été floué réapparaissait. Et les choses allèrent ainsi. La distribution forcément inégalitaire du butin renforçait l'espoir et l'espérance d'un retournement de situation. Un jour viendra enfin, ce jour là révèlera l'essence même du droit et de la justice, les apparences seront balayées comme un vulgaire mensonge. On se sentait bafoué, mais on savait pourquoi et par qui, on pouvait œuvrer pour que l'ordre juste soit rétabli, ou accepter l'outrage par habitude.
Mais à force de démultiplication des ayant-droits, comme des notaires, à force de fortunes gaspillées ici, accumulées là, et cachées ailleurs, il pouvait arriver qu'au bout du compte, il ne reste plus grand chose à partager, et aussi plus beaucoup d'inspiration pour expliquer le pourquoi, et le comment. Ce cas de figure ultime avait bien sûr était prévu par les Conditions Générales de l'Alliance, mais avait été écrit en petit, de façon illisible et apocryphe. On avait anticipé qu'en embrassant le destin de l'humanité toute entière, le nombre ferait ployer la loi, et qu'un jour, toute logique d'attribution des parts deviendrait incohérente : trop d'oublis, trop de fables, trop de mauvaises habitudes, trop de nouveautés pour dessiner un cadastre un tant soit peu réaliste.
Les rédacteurs de l'alliance avaient donc imaginé les clauses d'un recommencement par tacite reconduction. Dans le cas où les notaires de tout bord pouvaient n'être plus à même de fixer quoi que ce soit, il devenait alors indispensable d'envisager de nouveaux termes selon lesquels les ayant-droits seraient reconduits ou pas. Ces derniers seront choisis parmi les seuls qui parviendront à décrypter les signes annonciateurs du renouveau, définis dans les annexes dudit contrat d'alliance, et seront propulsés dans un monde quasi céleste, beaucoup plus abouti que le précédent : était-ce le monde total des Captain Kirk ?
Ces temps derniers, les signes annonciateurs grouillaient presque comme de la vermine. Les océans se dilataient jusqu'à monter par dessus bord, et engloutissaient des navires. Le soleil happait de ses rayons les eaux douces et les forêts, les nuages crachaient des virus, les étoiles fonçaient sur la terre comme dans une improbable partie de pétanque. L'horizon lui-même s'était détraqué, devenu incertain, peu amène. Déboussolés, les hommes et les femmes des équipages semblaient devoir se battre contre une hydre redoutable : un monstre à plusieurs têtes qui repoussent en double quand on les coupe ; un monstre dont les haleines pestilentielles se répandent comme un mélange de pets foireux de vaches et de pots d'échappement ; un monstre qui a du venin dans le sang et qui empoisonne l'environnement de qui le fait couler. Les signes annonciateurs dénonçaient un monde de junkies, englué dans le marais des addictions, payant au prix fort leur dose d'illusions vitales, pour échapper à une réalité létale.
Les mailles des filets qui filtrent les océans retiennent aujourd'hui d'inquiétantes rumeurs. A trop jouer sur les dosages infinitésimaux entre l'intelligence et la bêtise, on raconte que certains des Captain Kirk ont déjà fait naufrage. On dit qu'ils ont disparu corps et âme, avec équipage et bagages. On entend aussi que d'autres capitaines ont été débarqués, ou jetés à la mer par des équipages inquiets et en colères. On a voulu expliquer que les choses allaient rentrer dans l'ordre, que les derniers évènements n'étaient dûs qu'à des propriétés jusque là peu connues de la bêtise. La bêtise qui, on vient de s'en rendre compte peu aussi précipiter, en profondeur, en surface et partout lorsqu'elle devient trop pure ! On allait sur le champ, remédier à ces fâcheux contretemps. Mais même à cette chimie, il semble qu'on ait fini de croire. On raconte aussi que des radeaux ivres dérivent à la surface des eaux, sans capitaine, sans port d'attache, sans destination, comme des embarcations orphelines. Une ile entière serait ainsi à la dérive en plein milieu de l'Atlantique, une banque de dettes à l'affut des dernières baleines.
Mais, le pire est à venir. On raconte que certains bâtiments débarrassés de leur encombrant capitaine, sont arrivés à bon port et ont gagné des victoires. On dit que dans certains cas, une forme d'intelligence collaborative peut jaillir du chaos de la bêtise, et même de celle qui atteint des profondeurs abyssales.
L'inquiétude est grandissante, mais la riposte est déjà engagée, car la crainte de voir cette dernière machination se généraliser a déclenché l'hostilité unanime des Captain Kirk. Unis par leur désarrois, ils rêvent encore d'allier de nouveau la bêtise et l'intelligence sur le même bateau. Aveuglés par leurs positions dominantes indestructibles, obnubilés par le devoir de servir de modèle et d'exemple aux masses qui s'agitent, convaincus de leurs justes droits d'héritage, ils ont choisi de breveter la propriété intellectuelle de la bêtise. Tout un programme à ne rater sous aucun prétexte !
A suivre...
La suite dans quelques heures, quelques jours, quelques mois ou jamais.
A venir l'épisode 12 : Où on découvre l'immoralité de la fable.
Biens communs by Thierry Nahon est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Paternité 2.0 France.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire