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vendredi 18 octobre 2013

Culture : de l'évolutionnisme au métissage #6

A travers l'exemple des manières de table, la culture est présentée comme une co-élaboration, qui s'effectue au sein de la société sans un projet initial précis, avec une marche à suivre, des étapes à franchir. Le changement culturel et social ne suit pas une ligne prédéfini, mais en cheminant produirait plutôt des conceptions nouvelles, des colorations nouvelles pour la réalisation de nouveaux projets. Le développement des sciences peut s'inscrire dans ce contexte socio-historique : il s'agit d'un projet novateur pour acquérir des connaissances sur la nature, sur la société et sur l'Homme, qui élimine d'autres méthodes fondées par exemple sur la théologie, sur la magie, sur l'alchimie, sur des dons, sur la superstition, sur la tradition... Les sciences s'imposent autant par leur efficacité à dépasser certains de ces savoirs, qu'en démontrant l'inconsistance de certains de leurs fondements. Il faut toutefois garder à l'esprit que la science est un procédé de connaissance, relativement récent, et quel que soit le jugement de valeur contemporain ou "scientifique" qui peut être fait sur des savoirs traditionnels ou invérifiables, ces derniers ont joué et jouent encore parfois un rôle équivalent. A partir du 19ème siècle, des approches inspirées par la science s'attaquent à des questions humaines et sociales. Mais prisonniers des convictions héritées de la philosophie des Lumières, c'est à dire par l'idée que la civilisation européenne est la seule qui ait atteint un degré élevé de culture, les observations et les analyses produites, bien que toujours utiles sur un plan documentaire, ont débouché sur des résultats durablement biaisés. 

L'évolutionnisme
Dès le départ, la pensée anthropologique s'est efforcée de mettre en évidence une évolution sociale et culturelle : au bas de l’échelle les peuples les plus primitifs qui vivent encore à l’état de nature (Papous, Pygmées, Aborigènes), en haut l’homme blanc européen et entre les deux, des stades de civilisation fonction de leur degré d’organisation sociale (comme la Chine, l’Inde avec les castes ou  l’empire du Japon). En fait, l'anthropologie à ces débuts cherche surtout à comprendre ou à expliquer presque mathématiquement, comment les sociétés se perfectionnent, pour arriver jusqu'à elles, pourquoi chaque étape est nécessaire, ce qui revient à tenter de comprendre la logique, les lois de l'évolution. Qui aurait la maîtrise de ces lois, pourrait espérer améliorer en tout cas maîtriser, l'histoire et l'organisation de la civilisation. Le raisonnement paraît parfaitement logique et rationnel au premier abord : comprendre comment on devient « nous », et utiliser cette connaissance pour « nous » améliorer.

Ces approches qualifiées d’évolutionnismes sociaux s'inspirent directement des théories de l'évolutionnisme biologique ou du darwinisme. Elles postulent que l’humanité évolue d’un état primitif de mode de vie, de production ou d’organisation à des états de plus en plus complexes (le stade le plus élevé étant
représenté par la civilisation européenne), et que les formes les plus simples des cultures sont destinées à disparaître, ou tout au plus, à se perpétuer que comme des survivances.

Ces travaux sont parvenus à proposer des théories d'un développement suivant systématiquement plusieurs étapes logiques (Morgan) : la sauvagerie, la barbarie, la civilisation, ou bien, la chasse, l’élevage, l’agriculture, l’artisanat et l’industrialisation. Ou encore au niveau religieux : l’animisme, le polythéisme, le monothéisme... Les théories veulent expliquer comment et pourquoi ces étapes s'enchaînent. Il s'agit de découvrir des mécanismes rationnels et logiques, qui accompagnent ou fabriquent l'histoire Humaine, et qui expliquent peu ou prou la supériorité de l'homme européen et de sa civilisation comprise comme le stade le plus abouti de l'Humanité.

Ces théories qui ont connu un franc succès à leur époque ont été peu à peu abandonnées, mais elles ont persisté sous d’autres formes : par exemple la référence à des pays sous-développés ou en voie de développement. 

L'ethnographie
Progressivement d’autres théories, issues notamment des travaux sur le terrain vont pousser la critique de l'évolutionnisme. Les ethnologues veulent donner plus d'importance aux méthodes qui permettent de recueillir des informations et de les traiter à partir d'observations directes sur le terrain. Par le biais de ces méthodes plus rigoureuses , celles de l'ethnographie, les enquêteurs cherchent à se départir de toute interprétation de ce qu'ils voient ou entendent en fonction de leurs propres idées, leurs pré-notions, de ce que leur propre culture, culture occidentale interprète directement. Il s'agit de se dégager de l'ethnocentrisme. Pour y parvenir, l'ethnologie va s'efforcer de comprendre la cohérence et les logiques internes à chaque culture et à les comparer entre elles, en gommant le plus possible, la référence à la civilisation.

Le fonctionnalisme
Ainsi le fonctionnalisme développe l’idée que chaque phénomène culturel, chaque élément d’une culture (mythe, rite, mode de vie, objets) remplit une fonction particulière. Par exemple un rite religieux qui peut apparaître étrange, ou barbare, doit être compris en rapport à sa fonction, de lien social, ou de son rapport à une production économique, ou du rôle qu'il joue pour asseoir un pouvoir politique... Tout les éléments observés sont examinés dans leurs rapports fonctionnels avec la totalité du corps social, qui de fait est organisé par ses différentes fonctions.

Des sociétés sans histoire
Cette façon scientifique de procéder a permis d'acquérir de nombreuses connaissances sur les différentes cultures de la planète, aussi d'en conserver des traces précises. Mais le fondement même de la méthode, c'est à dire, l'Idée que toute manifestation culturelle a une utilité laisse peu de place à l'idée de changement. Si la société fonctionne comme un mécanisme d'horloge, aucune transformation n'est jamais souhaitable, ni nécessaire. Ainsi, cette approche  conduit à penser que ces cultures et ces sociétés sont comme figées depuis le début de l'humanité, sans histoire, sans changement, toujours identiques à elles-mêmes. Éternel retour au point de départ, en instaurant le progrès comme le propre de la civilisation de l'homme blanc, les autres cultures restent figées dans l'enfance perpétuelle des origines de l'humanité.

 
Des sociétés homogènes et sans contradiction
L'héritage légué par l'ethnologie et par cette approche fonctionnaliste est illustré par une collection de documentation sur des ethnies, des peuples, qui ont chacun un lieu de vie défini, des coutumes, des traditions établies, comme dans un répertoire définitif. Or chacune de ces ethnies, chacun de ces peuples vont rapidement se modifier du simple fait de leurs contacts avec des occidentaux. Si bien que les ethnies, ou les tribus si précisément décrites par l'ethnologie n'existent plus dans le même état. Elles ont changé, bougé ou sont en situation de crise. Paradoxalement, elles ré-intègrent dans leur mode de vie, des rites ou des traditions telles que les ethnologues les ont décrits, pour des raisons plus économiques et touristiques, qu'en lien avec la cohérence d'un mode de vie traditionnel. Éternel retour aux conceptions premières qui ont voulu expliquer les différences culturelles, justement celles que le projet de l'ethnologie voulait gommer : les touristes de la civilisation mondialisée viennent au spectacle des origines de l'humanité.

Culture et histoire
Les enjeux actuels de la culture, tant sur plan politique que social s'établissent sur une vision beaucoup plus dynamique et s'appuient sur l’historicité des peuples, des communautés, des groupes sociaux, sur leurs variations territoriales, sur les processus de contact et de transferts culturels.

La notion de culture entendue comme l’ensemble concret de croyances et de pratiques partagées par un groupe humain est de plus en plus abandonnée par les anthropologues. Même dans les sociétés peu différenciées, on ne peut affirmer que la culture est cohérente, stable, fermé sur elle-même. Aujourd'hui les sciences sociales insistent beaucoup plus sur les contradictions entre les différents éléments d’une culture, sur le manque d’intégration, sur l’importance des résistances, sur l’aptitude des cultures au métissage et au changement.

Conclusion

Nous venons de cheminer longuement à travers la notion de culture. Finalement nous constatons que cette notion qui est un thème majeur des sciences sociales depuis plus d'un siècle, n'est pas vraiment fixé qu'elle se transforme et s'actualise sans cesse. C'est que les sciences sociale, tout objective qu'elles souhaiteraient être sont elles-mêmes inscrite dans un moment historique et participent elles aussi de la culture du moment. Nous avons remarqué que l'approche scientifique de la culture, lorsqu'elle a pour objet la culture des autres semble apporté après beaucoup d'effort de méthode, des résultat objectifs et définitifs. Mais ces résultats sont remis en question car ils ne se généralisent pas à l'ensemble des sociétés, aux nôtres notamment. Nous avons mis en évidence que la culture avait un rapport avec l'évolution de la biologie humaine, qu'elle avait été utile et indispensable au développement de l'humanité sans toutefois parvenir à bien définir son mécanisme d'actualisation, sa logique spécifique. La culture s'élabore au fil de l'histoire, au fil des générations, des rencontres, des oublis, des échanges, des conflits, des résistances, des mélanges... Il s'agit d'un phénomène extrêmement dynamique et créatif en soi. Nous avons vu que cette créativité ne suivait pas un fil conducteur très bien défini. Elle ne permet pas par exemple de franchir des étapes. Elle ne pointe pas vers un objectif de développement. Elle permet tout au plus un certain type d'adaptation au milieu naturel et surtout aux autres. Cette créativité fait appel à une forme de langage, qui peut être parlé ou écrit, mais aussi peint, dansé, chanté, rêvé : un langage qui permet la représentation symbolique. La culture peut être appréhendée en fin de compte comme un outil qui permet de « régler » ou plus exactement de "jouer" un certain type de communication entre les gens, un type de communication sensible et presque charnelle...

mercredi 16 octobre 2013

Culture : changement et création #5


Comment comprendre la confusion entre culture et civilisation

Le projet de Norbert Elias
Norbert Elias, un sociologue Allemand, a voulu comprendre comment cette notion de culture universelle, ou de civilisation était apparue dans l'histoire Européenne. Elle y est apparue car il s'agit d'une notion nouvelle. En effet, l'Europe du moyen âge ne connaît pas de telle glorification de sa « culture ». Au contraire, elle emprunte chez les arabes, chez les indiens, les chinois. La suprématie européenne n'est pas de mise. Les mœurs y compris dans les classes dirigeantes ne sont pas des plus sophistiqués, comme ce sera le cas par la suite. Alors que s'est-il passé en Europe entre le 14éme et le 16éme siècle, et qui s'accélère jusqu'au 18ème, qui permette de mieux comprendre la constitution de cette idée ?

L'étude des manières de table

Les manières de table comme indicateur du processus de civilisation :
L'indicateur culturel qu'il a choisi d'étudier est le changement intervenu au niveau des manières de table. Il analyse les manuels de savoir vivre publiés au long de cette époque, montre comment les règles et les préconisations deviennent de plus en plus exigeantes, précises, sophistiquées, compliquées. Il montre comment les changements d'habitudes préconisées sont justifiées par un objectif de civilisation, i.e comment un homme ou une femme civilisé doit se comporter à table. Il montre comment le processus de civilisation consiste en une opération de distinction, des hommes entre eux (ceux qui sont distingués et les autres), de l'Humanité face à la nature (opposition culture nature), de la raison contre la pulsion (opposition psychologique et individuelle du calcul face aux impulsions).

Mise en évidence du changement
Avant le 14ème siècle, à l'époque de la chevalerie médiévale, on édite pas ou peu de manuels pour se tenir correctement à table. On a l'habitude de manger avec les mains, les manières sont désinvoltes.
Ainsi à partir du 14eme siècle les recommandations au sujet des manières de table commence à évoluer mais elles restent toutefois encore assez rudimentaires : il ne faut pas faire de bruit en mangeant, il ne faut pas renifler, il ne faut pas cracher sur la table ou se moucher dans la nappe... Il faut dire qu'au moyen âge les classes dirigeantes, les nobles, les seigneurs sont des militaires qui mènent une vie assez rude, aventurière, ils vivent souvent à la campagne (les châteaux forts n'étaient pas d'un grand confort). Ils prêtent assez peu d'attention à ce qu'on appelle le savoir vivre. Pourtant quelques générations plus tard, ces mêmes personnages, leurs descendants auront quitté leurs tenues militaires, changé leurs manières, s'apprêteront d'une manière de plus en plus élaborée pour paraître en société, adoptant des attitudes et des comportements de plus en plus étudiés, précieux, comme le montre par exemple le film ridicule. Alors pourquoi ?

Comment la sociologie influence la culture
Norbert Elias montre que ce changement culturel se produit dans le même temps qu'un changement sociologique important. Ainsi le 14eme siècle voit l'apparition et le développement des cours autour des monarques Européens. La pacification des royaumes, la monarchie absolue, le renforcement du pouvoir central font que les seigneurs, les nobles se font moins la guerre. Le prestige, le pouvoir, l'argent, les faveurs se gagnent moins sur le champ de bataille que dans l'entourage du roi. Dans toute l'Europe ce phénomène de cour se renforce très rapidement. Or, c'est dans ces sociétés de cour que vont se fabriquer et s'élaborer de nouvelles pratiques, de nouvelles façons de se représenter, de nouveaux rapports aux autres, une nouvelle civilisation. En quelque sorte ces cours royales ont permis à la noblesse de se reclasser.

Pourquoi et comment ces nouvelles sociétés vont elles modifier durablement les mœurs, les habitudes qui vont être diffusées et transmises jusqu'à nos générations ?

Le phénomène de cour
La cour regroupe les gens dans un lieu fermé et limité. C'est cette caractéristique que va mettre en avant N. Elias, pour interpréter l'invention des manières de table comme celle de la notion de civilisation. Pour commencer, il fait remarquer que la constitution des premières cours médiévales, dès le 12ème siècle, coïncide déjà avec l'apparition de conceptions nouvelles qui se renforceront et se généraliseront par la suite. La courtoisie chantée par les troubadours apparaît dans ces premières cours. La courtoisie propose d'adopter un ensemble de transformations dans les comportements, caractérisé par le respect de conventions plus contraignantes, un contrôle mieux assuré des conduites, des relations moins brutales entre les hommes et les femmes. Ces premières grandes cours apparaissent à l'intérieur d'une société globale guerrière et encore peu pacifiée. Elles constituent des îlots de civilisation où s'esquisse un nouvel art de vivre.

Conséquences du confinement dans les cours
Cet art de vivre va nécessiter pour se développer et se perfectionner la généralisation des cours qui caractérise l'état absolutiste, et de plus sévères exigences quand à la maîtrise des affects, une plus grande civilité. Pour Norbert Elias les règles de vie vont se perfectionner au sein des cours, d'abord pour des raisons démographiques, parce que des gens habitués à avoir de l'espace vont se retrouver confiner dans un même lieu. Chacun est de plus en plus tributaire des autres, et cela n'est pas sans conséquence. Elias observe que ce confinement modifie aussi la psychologie des personnes. Il faut prévoir les conséquences de ses actes, les réactions immédiates des autres, qui eux mêmes raisonnent de la même façon. Ailleurs, dans les grands espaces, il est plus facile d'agir selon les impulsions du moment, de ne pas prévoir, de ne pas calculer. Au sein des cours il devient par exemple nécessaire de découvrir les mobiles cachés de l'autre, ses calculs qui motivent son comportement, sa psychologie. A la cour un calcul emporte l'autre, dans la société « non-civilisé » une pulsion emporterait l'autre.

Le façonnage
Pour les membre de la classe supérieure de la société d'ancien régime, l'élégance, la tenue vestimentaire, le bon goût était certes rendu possible par leur existence de rentiers, mais indispensables pour leur assurer, dans un monde de compétition, le prestige, la considération et le pouvoir. N. Elias montre que les facteurs qui entrent en ligne de compte dans ce processus sont spécifiquement sociaux. L’hygiène, ou le développement technique, même s'ils accompagnent le changement n'en constitue pas la cause ou le fondement.

La diffusion
La diffusion de ces nouvelles manières à l'ensemble de la société serait aussi le résultat de la concurrence entre aristocratie et bourgeoisie. Les Bourgeois imitant les manières d'être des aristo, qui en retour auraient accru les exigences de la civilité afin que cette dernière conserve une valeur discriminante.

Conclusion

Quelques idées reçues
Donc les manières de table que nous pratiquons ont été façonnées par une société, par l'interaction des personnes de cette société, qui ensemble, dans la durée ont inventé ces nouvelles normes ou conventions avant qu'elles ne deviennent pour nous des évidences. Si aujourd'hui on se pose la question du pourquoi nous mangeons avec un couteau, une fourchette, un certain type de service, là où d'autres mangent simplement avec leur main, on répondra en mettant en avant l'aspect pratique, peut-être des question d'hygiène et de propreté. On apprend aux enfants à bien se tenir à table, à ne pas manger comme des cochons, c'est à dire le plus souvent avec les doigts. En arrière plan, même s'il est difficile de se l'avouer, il y a l'idée de manger d'une manière civilisée, "pas comme des sauvages"... Pourtant chacun de nous a pu faire l'expérience du charme, de la viabilité, de la convivialité de manières de tables très différentes issues d'autres cultures.

Le processus de transformation
Nous devons retenir à la suite de cet exemple le processus d'un changement culturel. Si nous suivons Norbert Elias, au départ ce sont les nouvelles conditions de vie sociale, c'est à dire dans ce cas là, la création des cours, le confinement, l'augmentation des relations interindividuelles, et l'existence de nouveaux enjeux de pouvoir qui en constituent la base. Le changement culturel se développe sur une dynamique de distinction, d'un certain groupe par rapport au reste de la société (dans le même temps les manières de tables des paysans n'ont pas tellement changé), une dynamique de distinction entre les personnes qui constituent ce groupe. Par la suite le modèle se diffuse aux autres couches de la société, et la concurrence entre catégories sociales renforce la rapidité des changements.

L'intégration et la poursuite du processus d'adaptation
Après la révolution la raison d'être des cours disparaît. La bourgeoisie, la catégorie sociale devenue dominante a un mode de vie très différent de celui de l'aristocratie. Ils vivent en famille dans un espace fermé et privé (intime). Ils ont adopté les manières de table, les convenances de l'aristocratie, mais celles-ci ne vont plus changer, évoluer, se transformer, ou alors très lentement. Le façonnage des individus et de la société va changer de lieu et d'espace. Ainsi là où va s'élaborer désormais le changement social, ce sera autour de la fabrique, de l'usine, de l'industrie... Dans ces nouveaux lieux de production et de rapport de pouvoir, par exemple, des centaines de milliers de paysans déraciné vont devoir composer, inventer de nouveau mode de vie, pour devenir des ouvriers, avec des habitudes, des convenances, des règles de vie, des attentes très éloignées de celles de la campagne. Les manières de tables propre à la cour, la conviction de participer à une civilisation supérieure parce que fondée sur le calcul et la raison, vont progressivement se diffuser à toutes les catégories sociales de la société, en s'adaptant mais sans tellement se modifier, comme une évidence, et non plus comme l'enjeu central de la vie collective. La civilisation devient de type industrielle. Plus tard on assistera à l'essor des grandes villes qui à leur tour vont devenir le creuset de l'élaboration d'un homme nouveau, de conventions, convenances, d'habitudes, de traditions culturelles. Façonné dans ces lieux, et notamment étudié dans les grandes villes Américaines, cette nouvelle culture va progressivement se diffuser à l'ensemble des sociétés, qui même à la campagne adopteront un mode de vie urbain. Aujourd'hui ce même type de transformation est peut-être à l’œuvre à travers le réseau internet.

Aujourd'hui nous sommes très loin de la société d'ancien régime, pourtant sans en être particulièrement conscients nous en avons hérité certaines convenances, qui certes se sont modifiées, mais auxquelles nous semblons tenir collectivement. Lorsqu'on fait l'analyse de cet acquis, on se rend compte qu'il s'appuie sur des valeurs, comme celle de civilisation qui peuvent nous mettre mal l'aise au sein de la société contemporaine. Nous tenons donc toujours à nous sentir civilisé sur le modèle d'une pensée, d'une conception du monde, qui sépare le « sauvage » du civilisé et qui autant sur le plan historique que sur le plan politique, va s'exprimer sous la forme d'une supériorité d'une certaine idée de la civilisation sur les autres cultures. Nous sommes aussi les héritiers de ces conceptions, même si aujourd'hui nous les mettons en perspective et adoptons un regard critique sur leur évidence. Sans toujours en avoir conscience nos idées peuvent encore d'appuyer sur ces évidences tout à fait arbitraires et relatives.

mardi 15 octobre 2013

Le mot culture #4


L'étymologie du mot culture remonte au latin cultura, qui se rapporte plus précisément à l’agriculture, aux soins portés à la terre. Au 16ème siècle, seulement, en Europe, le mot culture connote un peu du sens qu'on lui donne aujourd'hui. Il est employé dans le sens de « se cultiver » pour donner la pleine mesure de soi-même, de son talent (pour peindre, pour raconter, pour apprécier...). Cet usage du mot va se généraliser, et au 18éme siècle, la culture désigne plus précisément la formation de l’esprit : la culture devient la ressource nécessaire au raisonnement.
Aujourd'hui le terme est employé à tout propos pour désigner toutes sortes de phénomènes de nature très différente.

Les idées, ou certaines idées que nous avons aujourd'hui à propos de ce que nous nommons culture, les philosophes de l'antiquité les exprimaient dans une réflexion sur les modes de vie (bios), ou alors lorsqu'il s'agit des autres (des non-Grecs, non-Romains, le terme utilisé était alors plutôt ethnos (littéralement nation, peuple). Ce dernier mot désigne les autres, les autres "peuples" qui partagent entre eux la même langue, les mêmes rites ou les mêmes coutumes. L'église catholique, d'ailleurs utilisait le terme Ethnikum pour désigner les peuples païens.

L'usage actuel et courant du mot culture mêle ces deux acceptions : une sorte de métaphore de l'agriculture appliquée à l'éducation, à la formation de l'esprit, qui se cultive, s'entretient comme un jardin dont on souhaite récolter les fruits, et, la désignation de l'autre par rapport à des différences dans le mode de vie, les habitudes, les rites, les croyances. Le terme parvient à désigner toutes les différences d'attitude et de comportement observées dans nos sociétés.

La notion de culture et idéologie
L'évolution du sens et de l'usage du mot culture s'établit sur un plan à la fois historique et philosophique.
Pour la philosophie des Lumières, la culture se rajoute à la nature, et permet de distinguer l’homme de l’animal (le propre de l'homme) d'où la nécessité de former son esprit (cultivé s'oppose à sauvage) : la culture est liée à la raison humaine , permet de se libérer de l’irrationnel ou de l’obscurantisme. L'idée de civilisation et de degré d’évolution ou d’avancement dans l’échelle des progrès de l'humanité constitue son corollaire, et va permettre d'expliquer les différences entre les hommes et entre les peuples, notamment en établissant des hiérarchies, supérieur, inférieur. Les degrés de culture pourraient de cette manière participer à la justification des hiérarchies sociales et politiques, à la place du droit divin.

En Allemagne dès 18e siècle, le mot Kultur se confond avec l’idée de nation allemande dans son ensemble. La jeune nation Allemande est considérée comme correspondant au plus haut degré de civilisation. La Kultur est la source d'une glorification nationale.

De la même façon, en France, à la même époque, le mot culture prend le sens et a tendance à se confondre avec le terme de civilisation. L'usage qui est fait du mot connote de plus en plus l’idée d’une sorte d'unité humaine qui l'emporte sur la diversité : l'idée d'un cheminement vers une humanité universelle. La France et le monde occidental dans son ensemble vont être longtemps marqués par ces conceptions du mot. L’idée qu’il existe une sorte d'universalité de la culture, engage dans un certain prosélytisme : envoi de missionnaires pour "civiliser", mais aussi développement de l'éducation. Aussi, elle participe à la question de l'explication des différences entre les peuples, différences d'accès à l'universel, qui ont donné naissance à des théories sur le lien entre degré de civilisation et pureté de la race. Bien entendu, les puissances européennes se sont alors représentées comme le creuset de cette culture universelle ou de cette civilisation.

La notion d'ethnie a suivi peu ou prou le même processus de transformation. Au 18ème siècle elle est popularisée par les intellectuels allemands un peu sur le modèle de l'ethnikum catholique mais tout simplement pour désigner les « non-civilisés », plutôt que les païens. A travers des thèses scientifiques, ou pseudo-scientifiques une confusion évidente apparaît entre les différences linguistiques ou de mode de vie, et les différences ethniques ou raciales.

On doit relever que l'évolution du sens du mot culture, n'est pas simplement une observation qui montre que la définition des mots n'est pas fixée pour l'éternité, mais qu'elle s'inscrit dans des enjeux politiques et idéologiques importants. Ainsi nous constatons un parallèle entre ces définitions nouvelles qui apparaissent au 18ème siècle et les grands événements qui marqueront le 19ème et le 20ème, par exemple le nazisme en Allemagne, et toute l'histoire de la colonisation. Finalement l'école gratuite et obligatoire, l'école laïque et républicaine, et ce qu'on y apprenait émane de cet idéal de la culture/civilisation. L'école a entre autres pour mission de civiliser les campagnes et les faubourgs ouvrier des villes...

Après la boucherie de la première guerre mondiale, les atrocités et la charcuterie de la seconde, s'est alors posée avec une acuité certaine, la question du pourquoi les plus hautes cultures civilisatrices, la civilisation la plus cultivée, la plus en phase avec la raison universelle, la plus sophistiquée qui soit, donnait lieu à autant de barbarie et à autant de destruction industrielle et massive. On s'est demandé, seulement entre philosophes, si les programmes scolaires devaient inculquer l'histoire en marche vers l'accomplissement de l'Humanité, ou l'histoire de la barbarie, l'histoire du développement ou celle de la crise, l'histoire de la révolution industrielle ou celle du réchauffement climatique... On s'est aussi posé la question de la mission civilisatrice que ces sociétés modernes s'étaient assignées auprès d'autres peuples.

Alors le sens du mot culture s'est relativisé, s'est dilué dans la diversité, dans la désignation des différences, presque comme un synonyme du terme ethnie. Un sociologue contemporain désigne la culture de notre temps, comme le "temps des tribus". Il ne vient à l'idée de personne de remettre en question l'idée de l'école du fait des dérives de ce qui a pu fonder le projet initial. L'école, dans sa version laïque et républicaine, même si elle est contestée, est devenue une évidence, un repère, une référence dans la réalité du monde actuel. Sa fonction, ses programmes sont sans cesse réactualisés au gré des nouvelles donnes de la société et de l'évolution de nos conception du vivre ensemble et de la culture. Le modèle est envié et copié par d'autres nations. 

On voudrait inculquer aujourd'hui aux élèves, le goût de l'innovation, le risque, l'esprit d'entreprise, l'envie de différenciation plutôt que de routines, de s'investir tout entier dans une passion même très particulière, de savoir s'insérer dans des petits ensembles professionnels ultra spécialisés. On leur apprend que la diversité est une richesse, richesse au vue des échanges immatériels ou matériels qui peuvent se nouer.  Il s'agit de retrouver les autres en partant, en explorant dans toutes les directions. Il ne s'agit plus d'un chemin tracé, d'un retard à combler, d'un idéal commun à atteindre. 

On voudrait aussi que les élèves comprennent la culture de la nation avec tous ses symboles, et acceptent que cette version édulcorée de la culture/civilisation trône avec beaucoup de tolérance dans le respect des autres cultures. Mais les valeurs, les histoires, les mémoires, les symboles sont parfois tellement contradictoires, inconciliables qu'ils fragilisent la prépondérance d'une culture simplement centrale sur les périphériques (même lorsqu'il s'agit de cultures nouvelles qui n'ont rien à voir avec l'histoire). Par contre l'école donne une priorité à l'enseignement des mathématiques, des sciences, des nouvelles technologie. On parle de culture scientifique ou technologique. A travers la culture NTIC, régie par la logique universelle des algorithmes, se profilent des notions telles que la réalité augmentée, le transhumanisme, s'esquissent les solutions concrètes à tous les défis de la nature, de l'écologie et de la société mondialisée. On peut y trouver quelques similitude avec la conception classique de la civilisation.

Ce nouvel air de civilisation se joue à nouveau contre le pressentiment d'une catastrophe annoncée, d'une barbarie en ordre de bataille sur fond de surveillance généralisée, de puissance de machines qui prennent le contrôle, de pollutions nouvelles... Une sorte de résistance s'organise face des orientations trop univoques, trop absolus, trop définitives...

Les meilleurs élèves auront remarqué que l'universalité de cette civilisation du bit mondialisé, flirte avec des "désirs" de personnalisation, de différenciations à l'extrême, de refonte de la langue parlée dans les groupes scellés par une passion, un feeling de quartier, de lycée, d'appétit pour le tunning ou pourn d'autres choses. Cette refonte des mots, du vocabulaire, des façon de se vêtir ou d'afficher son profil public (marques, tatouages, percings), de mobi-loger, du domicile travail, ou de se désorganiser, illustre la créativité de la société, dont la tribalité confère aux pratiques surprenantes des papous. Elle s'accompagne d'échanges gratuits, de dons, d'informations, messages, photographies, vidéos, sons, services, d'adresses, de liens dans un rapport devenu obsédant aux smartphones.  Elle encourage des confrontations non violentes, des compétitions fondées sur une éthique sportive, au cours desquels se règlent des différends ; les tribus concurrentes se livrent une bataille de réputation, de notoriété, de popularité sans grande volonté "d'absorber" l'adversaire et de gommer ses différences.

lundi 14 octobre 2013

Culture : constantes et différenciations #3


 
Qu'y a t-il de commun entre toutes les manières de vivre organisées sur notre planète ?

La culture peut être considérée comme un principe d'organisation social. En quelque sorte, une solution collective, type organisation des ressources humaines, adoptée par un ensemble d'individus pour vivre ensemble d'une façon voulue durable, et efficace. Nous devons noter toutefois l'extrême variabilité des modes de vie déployés par les hommes sur toute la planète.

Les ethnologues (science qui a pour objet justement l'étude de ces différences) ont montré, en appliquant une méthode permettant de comparer ces cultures entre elles, que la diversité des pratiques, autrement dit, des solutions adoptées pour résoudre les problèmes posés par la nature, pouvait être réduite, et qu'en fait, quatre universels culturels coexistaient au sein de toutes les cultures (comme quatre piliers autour desquels la diversité culturelle pouvait se développer).

La division du travail est un élément culturel présent dans toutes les sociétés. Depuis la horde, la bande, très faiblement organisée, jusqu'aux sociétés industrielles complexes, les groupes partagent entre leur membres la responsabilité de mener à bien certaines tâches particulières indispensables pour la survie du groupe dans son ensemble : certains font la guerre, d'autres prient, d'autres travaillent, certains sont chasseurs pendants que d'autres façonnent leurs armes; etc..

A l'inverse, les singes et les primate en général vivent aussi en groupes sociaux, mais recherchent plutôt chacun leur propre nourriture, préparent leurs propre couche, et vivent généralement pour eux-mêmes. Par contre, dans toutes les sociétés humaines, les groupes partagent les responsabilités et recherchent une complémentarité entre leurs membres. Toutes les cultures distinguent au moins socialement, les hommes, des femmes, et les adultes, des enfants. Ces distinctions organisent la base de la division du travail. Dans toutes sociétés, il y a des tâches pour femmes adultes, d'autres pour hommes adultes, d'autres pour les enfants...

La prohibition de l'inceste, le mariage, et la famille est un autre universel. Même si ces élément peuvent apparaître dégrader aujourd'hui, au sein de sociétés modernes. Toutes les sociétés humaines ont tendance à vouloir réguler les comportements sexuels. Toutes les cultures tentent de définir des degrés d'acceptabilité en matière conjugale. De même elles tentent d'institutionnaliser le mariage par des lois ou des règles et des par rituels.

La parenté est l’ensemble des liens qui relie les personnes d’une même « famille », ainsi que les règles qui régissent ces liens et attribuent à chacun une position particulière. La parenté est généralement fondée sur des interdits (prohibition de l’inceste) et implique des règles d’alliances ou de mariage qui empêchent ou au contraire obligent les membres d’une famille à se marier avec certaines personnes, faisant partie d’un même clan, ou d’un autre clan allié. La parenté est ainsi à la base de la vie sociale, puisqu’elle suppose toujours un minimum de règles élémentaires nous liant les uns aux autres.

Les moeurs sexuels varient beaucoup d'une culture à l'autre, mais toutes les cultures partagent apparemment une valeur de base : les relations sexuelles entre les parents et leurs enfants sont prohibées (la prohibition de l'inceste existe aussi chez les primates). Dans la plupart des sociétés les contacts entre frères et soeurs sont aussi interdits (à l'exception notable des mariage des familles royales de l'Egypte ancienne et d'Hawaï, et aussi chez les Incas du Pérou.

Les rites de passages : toutes les cultures reconnaissent des stades à travers lesquelles chaque individu évolue tout au long de sa vie. certains de ces stades sont marqués par des événement physiologique, comme les premières menstruations pour les filles. D'autres sont désignés de façon plus arbitraires. Les transitions importantes de la vie sont en général marquées par des rituels appropriées. On peut citer, la naissance, le passage à l'âge adulte, le mariage et la mort comme des points nodaux de ces rites de passage.

L'idéologie : chaque culture développe une idéologie, constituée par des valeurs et des croyances communes qui cimentent le groupe. Certaines idéologies s'expriment à travers la religions, d'autres sont plus sécularisées, moins religieuses, plus laïques, plus inscrites dans la vie quotidienne. Même si ces idéologies, ces croyances et ces valeurs sont difficilement formulables de façon objective, elles sont sentie en commun par le groupe comme des évidences, et elles restent importantes quant à leurs conséquences. Elles donnent un sens à notre existence sociale, un sens à notre vie.

Il est vrai, que ces constantes peuvent paraître nécessaires et indispensables à la vie d'un groupe, d'une société quelle qu'elle soit. Il est probable qu'au sein d'une communauté les tâches soient partagées, que la sexualité soit relativement encadrée, que des rites ou des cérémonie agrémentent certains moments importants et que la cohésion du groupe soit renforcée , et le groupe plus durable, si les membres partagent à peu près les mêmes valeurs. Si ces fonctions semblent faire un consensus, c'est bien la façon dont elles sont remplies, et donc la diversité qui nous intéresse plutôt. Car la division du travail, c'est par exemple, le mari à la chasse, la femme à la maison qui s'occupe de tout, et qui n'a pas trop intérêt à la ramener. Ou bien des catégories sociales exclues de certaines tâches, spécialisés dans des travaux ingrats. Les règles de la parenté cela peut consister dans le mariage forcé, les rites de passage peuvent s'effectuer selon des modalités extrêmement violentes (la violence étant inhérente au rituel), quand aux idéologies elles ne supportent pas la contradiction. Si ces constantes universelles semblent bien en effet constitutives de tous les groupes humain, c'est plus leur symbolique que leur fonction qui nous interpelle. Dans nos centres urbains, on aime à penser qu'au moins à l'échelle de petits groupes, de la famille, on peut envisager la division ou partage des tâches d'une façon plus fluide, moins déterministe, une liberté presque totale en matière sexuelle ou familiale, préconiser le débat contradictoire, plutôt que l'acceptation de schémas pré-établis. Aborder les éléments culturels par rapport à leur fonction supposée débouche sur une forme abstraite et figée qui en fait existe partout et en même temps n'existe nul part. La forme prime sur le fond. C'est la forme que prennent ces fonctions au sein des sociétés, leur différences, mais surtout leurs contradictions, comme leurs évolutions qui donnent du sens à la notion de culture. La différenciation envisagée comme un cheminement ou un processus, des individus entre eux comme du groupe envers d'autres groupes jouent un rôle sûrement aussi important que les constantes que nous venons d'énoncer. 

Pour illustrer ce point nous pouvons rapidement survoler les cultures papoues de la Papouasie Nouvelle Guinée.

La Papouasie Nouvelle Guinée

Source : "Parle et je t'écouterais, Récits et traditions des Orokaïva de Papouasie-Nouvelle-Guinée" par André Itéanu et Eric Schwimmer, ed Gallimard

La Papouasie Nouvelle Guinée est un pays d'une superficie à peu près équivalente à celle de la France, situé à 150 km au Nord de l'Australie, et indépendant depuis 1975. Cette île, à la latitude de l'équateur est recouverte d'une végétation très dense et luxuriante, la forêt primaire. Des vallées très escarpées rendent les communication très difficiles et jusqu'aux années 70 certaines populations locales n'avaient jamais rencontrer d'occidentaux. L'île est peuplée depuis plus de trente mille ans.

Population et langues
La population de Papouasie Nouvelle Guinée regroupait environ 3 millions d'habitants dans les années 90. Un fractionnement extrême caractérise la géographie humaine de l'île. Dans ce pays, on parle plus de 700 langues différentes, et ces langues pour la plupart, ne sont pas apparentées entre elle. Il n'existe pas non plus d'homogénéité dans les manières de vivre. Les pratiques sociales varient d'une façon quasi illimitée d'une communauté à l'autre.

Quatre traits sont toutefois partagés par toutes ces sociétés :

  • Tous cultivent des jardins itinérant presque toujours travaillés par la technique du brûlis.
  • On n'élève qu'un seul animal : le cochon, qui a partout une importance fondamentale à la fois en tant que viande, et à la fois en tant qu'objet d'échange pendant les fêtes.
  • Toutes les sociétés pratiquent le don avec une intensité extrêmement forte : tout est prétexte au don qu'il soit modeste ou somptueux. Les dons sont omniprésents dans la pratique, mais aussi dans la pensée. Chacun mémorise, médite et discute des dons qu'on lui a faits, de ceux qu'il devra donner en retour, comme de ceux qui lui sont dû...
  • La guerre est considérée comme une activité nécessaire, un plaisir, ou un jeu. Accompagné de cannibalisme ou pas, rarement motivée par la conquête, elle est endémique, mais reste toujours de dimension modeste. Un mort ou quelques blessés suffit à l'arrêter.

Organisation politique
Dans ces sociétés il n'existe pas d'institutions politiques centralisées comparables aux nôtres. Pas de chefs, pas de dignitaires, pas de tribunaux, pas de catégories sociales (à part les hommes et les femmes), pas de conseil des anciens ou des sages, pas de police, pas de différences de fortune durable et reconductible.
Dans des contextes particuliers, certaines personnes peuvent occuper passagèrement des positions de prestige. Mais on ne sait pas très bien de quoi est faite leur autorité, on ne comprend pas très bien pourquoi à un moment donné ces personnes sont devenus ce qu'on appelle des "Grands Hommes". En l'absence de pouvoir centralisé, nul ne peut être contraint de reconnaître l'autorité d'autrui, mais chacun est assigné à des tâches, à des responsabilités qu'il n'a d'autre choix que de remplir.

Les langues et la compréhension réciproque
700 langues sont parlées dans ce pays. La plupart de ces langues sont parlées par les Papous et ne sont pas liées entre elles, d'après les linguistes.

Les papous selon la langue qu'ils parlent ne se comprennent pas entre eux. Lorsqu'ils se comprennent parce qu'ils parlent des langues proches (de la même famille de langue), ils ne comprennent seulement des conversations simples. En gros, chacun comprend plus ou moins la langue de ces voisins avec lesquels sont conclus des mariages ou des échanges, au delà de cette zone, la compréhension réciproque devient problématique. Chaque dialecte marque la spécificité de chaque population voisine.

Les dialectes et le phénomène de différenciation
"Ca va plus loin. Dans chaque dialecte le vocabulaire varie légèrement d'un village à l'autre. Ces différences ont une origines tout à fait remarquable dans la société orokaïva. Dans cette société, il est formellement interdit de prononcer le nom des parents par alliance : beau père, belle mère, beau-frère et belle-sœur. Etant donné que parmi les multiples noms qu'une personne porte, il y en a toujours au moins un qui désigne un objet ou une action, ce ou ces termes deviennent prohibés pour la famille qui doit se débrouiller avec d'autres mots. En plus l'interdiction peut s'élargir à des mots qui ont une ressemblance phonétique, ou à des synonymes... Comme il est courant que les habitant d'un même village soient tous liés entre eux par la filiation et par le mariage, il est fréquent que certains mots soient prohibés pour tous les habitants. Cette interdiction touche donc à chaque fois un nombre important de mots qui sont remplacés par des termes nouveaux. Les mots sont donc constamment réinventés, et les anciens progressivement oubliés. Le phénomène opère d'une manière étonnamment rapide." Itéanu p58


Cette culture présente donc des différence très importante avec celle que nous pensons partager notamment en France. Nous, nous ne tenons à parler qu'une seule et même langue sur l'ensemble de notre territoire. Nous engageons collectivement des moyens importants pour rendre cela possible car cela nous semble à l'évidence plus pratique et plus rationnel. Nous avons hérité de la société d'ancien régime, d'un pouvoir centralisé qui seul semble en mesure de pérenniser le développement de notre pays et de sa culture. Tous ces traits nous apparaissent comme des évidences. Nous avons beaucoup de difficultés à comprendre comment des traits diamétralement opposés aux nôtres ont permis à d'autres populations d'autres cultures de perdurer plusieurs milliers d'années, en parallèle avec le développement de notre "civilisation". Nous nous sentons obligés d'émettre des jugements de valeur : ça doit être compliqué, pas étonnant qu'ils ne se soient développés comme nous, et d'émettre des conseils, pour simplifier et rapprocher ces populations de nos modèles (a priori pour leur bien).

Pourtant ce qui nous apparaît dans un premier temps comme quelque chose d'exotique, nous rappelle aussi qu'en Europe, société et culture à laquelle nous appartenons aussi, au temps de la globalisation, de la mondialisation, la question de la langue ou des langues régionales, et des particularismes locaux se pose dans notre actualité comme un enjeu important. Par exemple en Espagne avec la Catalogne, au Pays Basque, la langue Corse ou le Breton en France. Les médias posent aussi souvent la question de savoir si par exemple le Français parlé dans certains quartiers reste encore du Français. On se demande aussi s'il est possible de vivre dans une région, un pays, dans une culture donnée sans en parler la langue.

Les mêmes remarques peuvent être faites à propos de l'organisation sociale et politique. Nous Français semblons attachés à une forme de pouvoir central (l'état). Pourtant nous participons à l'élaboration d'un projet européen qui consiste à réduire ce pouvoir, à construire une société plus large (un marché) comprenant une multitude de particularismes locaux qui s'affirment comme tels, une grande communauté où nul ne pourrait être contraint par autrui sans le préalable de longues négociations... La société libérale qui résulte de ces accords est multiculturelle, multi-linguistique, fragmentée en groupes sociaux qui définissent chacun leur mode de vie, leurs valeurs, leurs raison de vivre, en complémentarité comme en opposition, ou dans l'ignorance les uns des autres. La notion même d'Etat semble être devenu ringarde, inutile, inadaptée aux conditions de vie contemporaine. Peut-être alors que notre adaptation à l'ultra modernité, ou post-modernité passe par des notions, des modèles culturels que les sociétés papoues avaient développés à une échelle plus réduite.

Dans les années 70, la société Papoue avait beaucoup intéressé les intellectuels occidentaux justement par rapport à cette absence d'état. En effet pour des penseurs marxistes, ou pour les anarchistes on observait concrètement à travers ces sociétés traditionnelles, un modèle originel de l'organisation sociale, avant qu'elle ne soit corrompu par la domination d'une classe dominante sur les autres. L'idéal anarchiste ou communiste d'une société sans état pouvait s'appuyer sur une orientation originelle de l'humanité, déviée par la civilisation et le capitalisme. Mais en se référant à la société papoue, une société sans état, n'est pas une société sans loi ou sans règle ou sans interdit. (une sorte de société spontanée type enfance de l'humanité). Au contraire, la loi, les interdits, les règles à suivre sont propre à chaque groupe, servent à les identifier, à leur affirmation, à leur différenciation et sont suivis drastiquement. Par des épreuves et par exemple par des tatouages elles s'inscrivent sur les corps, elles marquent les individus dans leur chair.

D'ailleurs toutes les sociétés traditionnelles ne sont pas dépourvues d'état. Elles sont du point de vue de leur organisation sociale et culturelle aussi différentes les unes des autres, qu'elle nous apparaissent à nous exotiques. D'autre part, si il est évident que la structure sociale d'un petit groupe de personnes vivant dans la forêt est plus simple, que l'ensemble constitué par des milliards d'individus connectés entre eux par un réseau mondial, il est peu évident de tirer une conclusion similaire en matière culturelle.

Le mode de vie des "sociétés traditionnelles", quelle que soit la façon dont il nous apparaît, n'est pas fondé sur une association spontanée, primaire, ou primitive. Il n'est pas précaire non plus, car il se reproduit de génération en génération. Il est au contraire fondé sur des lois, des règles, des savoir-faire, des savoir-vivre, des savoirs, des connaissances parfois extrêmement sophistiqués, en tout cas au moins aussi complexes que les nôtres. Les différences culturelles ne déterminent ni hiérarchie dans l'évolution des cultures, ni une sorte de paradis perdu dont la civilisation se serait éloignée. Claude Lévi Strauss parle à ce sujet de relativisme culturel.

Si un indien d'Amérique auquel on aurait fourni une tronçonneuse ne coupera qu'un seul arbre avant de profiter du temps gagner pour dormir ou se reposer, ce n'est pas parce que l'indien est naturellement paresseux. Dans son environnement, le repos permet une plus grande efficacité, les rêves qui sont vécu comme la réalité véhiculent les conseils des esprits auxquels il croit. Il adopte donc l'attitude la mieux adaptée à son mode de vie. L'homme blanc par contre coupera avec sa tronçonneuse autant d'arbres qu'il est possible de couper dans un laps de temps donné parce qu'ils représentent autant d'argents, et que dans la civilisation des blancs, on vit mieux lorsqu'on est riche que lorsqu'on est pauvre. C'est aussi une façon de s'adapter à un contexte particulier.

Nous débouchons donc à nouveau sur une liaison entre la notion de culture et celle d'adaptation à un milieu tant naturel que social. Les nombreuses différences observées (manières différentes de s'adapter) peuvent s'interpréter en regard de la capacité imaginative, inventive, ou créative propre à chaque groupe humain. Nous avons vu que le côté pragmatique ne suffit pas pour comprendre les différences. Certes chacun répond à un problème avec sa créativité propre, mais nous avons noté aussi l'importance donnée à nécessité de la distinction : se distinguer des autres groupes, marquer son identité, sa différence, son appartenance et sa fierté d'appartenir.

jeudi 10 octobre 2013

Les origines de la culture #2


Les origines de la culture humaine : culture et paléontologie

La culture serait le résultat du processus d'évolution des espèces vivantes. Elle serait une spécialisation dont la nature aurait dotée l'espèce humaine.
En première approximation, bien que non-organique, pas physique, elle fonctionnerait comme une sorte d'organe partagé, indispensable à la vie comme à la survie de l'espèce...

Petite histoire de la culture :

Premiers hominidés
Les premiers signes d'une culture humaine ont été retrouvés en Afrique ; en Tanzanie, au Kenya, en Éthiopie. On y a retrouvé des pierres taillées, des silex, datant de 1,5 à 2,9 millions d'années. Ces outils très simples ont été fabriqués en frappant des pierres les unes contre les autres, afin d'en récupérer les éclats et d'en faire des lames pour chasser des proies.

Ceux qui façonnaient ces outils, se tenaient debout et marchait sur leur jambes comme nous le faisons. Ils mesuraient entre 1m20 à 1m60, et pesaient entre 50 et 80 kg. Ces lointains ancêtres subsistaient grâce à un régime varié de plantes et de petits gibiers. Toutefois il semblerait qu'ils étaient aussi capables de chasser des proies plus grosses. Afin de se protéger contre des animaux prédateurs comme pour chasser, ils avaient dû aussi probablement développer des formes de communication et une organisation sociale.

Homo Erectus
Un ancêtre plus proche est l'Homo Erectus. Il est apparu il y a entre 1 et 1,5 millions d'années. Il ressemble à l'homme moderne dans tous ces aspects à l'exception de sa tête, qui est encore primitive. Le cerveau atteint environ 1000 cm3, environ 2/3 du cerveau de l'homme moderne.

Ces hommes vivaient en bandes qui se sont déplacées depuis les tropiques et les zone subtropicales vers les plaines d'Afrique, d'Europe et d'Asie. On les a retrouvé très au nord, dans le nord de l'Allemagne ou de la Chine. On sait qu'il s'abritaient dans des grottes, et parfois sous des huttes en peau de bête dans des lieux abrités du vent. Ils bravaient des hivers rigoureux pour chasser et poursuivre du gros gibier, des mammouths, chevaux, rhinocéros, cerfs, et bovidés. 

Ces hommes étaient des nomades. Leurs bandes étaient bien organisées. Ils disposaient d'outils et d'armes relativement bien adaptés aux territoires qu'ils arpentaient.

L'Homme de Néandertal, un homo erectus qui vivait en Europe, pratiquait déjà une chirurgie rudimentaire, prenaient soin des plus âgés et des invalides, et  enterraient ses morts au cour de rituels, en les recouvrant avec de la poudre rouge, en plaçant des offrandes de nourriture près d'eux, et parfois en les recouvrant de pétales de fleurs. A l'évidence, l'homme de Néandertal était intelligent, avait développé des sentiments forts au sein du groupe, et avait des idées à propos de la mort et possiblement de ce qui se passait après la mort.

L'homme moderne
Il y a 35000 à 40000 ans les techniques de fabrications des outils en pierre ont atteint leur plus haut stade de développement. Les équipements sont caractérisés par de nombreuses formes de choppers (haches), racloirs, ciseaux, points, et lames. Dans le sud de l'Europe, il y a environ 25000 ans, des arts de plus en plus sophistiqués se développent : gravures, murs peints, dessins abstraits, et aussi des sculptures en trois dimensions d'animaux et d'humains. Les hommes modernes sont des chasseurs-cueilleurs, nomades, qui se déplacent par petits groupes, se nourrissents de gibiers ou de plantes qu'ils rencontrent sur leur route. Ils ont considérablement amélioré les techniques de fabrication de leurs outils. Ces bandes douées et créatives de chasseurs cueilleurs ont traversé les dernières frontières vers l'Australie et l'Amérique.

Naissance des civilisations
Il y a 10000 ans a commencé la révolution agricole. C'est sur cette base que les civilisations se sont construites en développant des sociétés de plus en plus complexes.

De l'évolution naturelle à l'évolution culturelle

Ce rapide tableau montre qu'il y a plusieurs millions d'années la nature aurait doté certains primates, des hominidés, d'une compétence nouvelle, qui peut s'apparenter à la culture. Cette compétence originale dans le règne animal a pu favoriser la survie et la perpétuation de ces espèces, car elle commencent à s'aider d'outils pour se nourrir, peut-être pour se vêtir, pour s'abriter de la chaleur ou du froid. Il est aussi important de remarquer que cette nouvelle compétence serait liée à la libération de la main (bipédie) et à l'augmentation du volume du cerveau en lien avec le développement du langage. Cette évolution a donc aussi permis de développer l'imagination de ces espèces, ainsi que la capacité de communication et d'organisation sociale et politique des groupes : des premières sociétés humaines.

Ces ancêtre dont nous parlons n'évoluent pas jusqu'à l'homme moderne en suivant un schéma linéaire. Ces espèces d'hommes qui semblaient unir des individus par un lien culturel ont disparu. C'est le cas par exemple de l'homme de Néandertal. Cette extinction peut-être le résultat de la sélection naturelle. Seules les espèces humaines les mieux adaptées à leur milieu vont se reproduire et perdurer. Leur milieu a pu aussi être colonisé par d'autres espèces humaines, en concurrence avec eux pour leur survie...

L'homme moderne est apparu en Afrique avant d'essaimer partout dans le monde. La réussite de cette espèce particulière d'hommes signifie que cette dernière avait une capacité d'adaptation supérieure à celles d'autres espèces. Cette capacité s'envisage au regard du volume du cerveau, siège du langage, de l'imaginaire, des apprentissages et de la culture. Cela ne signifie pas que l'homme moderne détenait d'emblée des connaissances supérieures à celle des autres espèces. La culture semble suivre un processus d'acquisition, de capitalisation et de transmission. Il est vraisemblable qu'un ou plusieurs groupes d'homme modernes, bien qu'ayant des capacité intellectuelles supérieures aux autres, aient appris, aient emprunté des savoir-faire et des connaissances d'autres espèces humaines. Ce que ces dernières, avaient pu élaborer progressivement durant plusieurs centaines de milliers d'années.

André Leroy Gourhan avait montré en étudiant la production d'outils et les volumes des crânes humains, que plus les outils se perfectionnent lentement, plus le volume des crânes augmentait ; plus les outils se perfectionnent vite moins le volume des cranes augmente. A partir de moins 100 000 ans le volume des cranes n'augmente plus significativement alors que les outils se multiplient et se perfectionnent de plus en plus rapidement. Donc pour André Leroy Gourhan, avec l’avènement de l'homme moderne le rôle de la culture aurait pris le pas sur le rôle de l'évolution naturelle et biologique dans l'adaptation et le développement de l'espèce. L'adaptation à un milieu par la médiation de la culture aurait d'ailleurs pour caractéristique d'aller plus vite que l'évolution naturelle, les modification nécessitant plusieurs générations pour s'établir.

La culture comme un mécanisme d'adaptation

Les êtres humains, en colonisant tous les espaces de la terre, ont montré des capacité d'adaptation très importantes sans qu'intervienne l'évolution de leur biologie. Contrairement aux autres animaux, les être humains sont remarquablement peu spécialisés. Ils ne courent pas vite pour fuir ou pour chasser, ne grimpent pas très bien aux arbres, ne nagent pas bien. La seule spécialisation notable de l'espèce humaine réside dans cette capacité de fonctionner en groupe grâce à sa culture. La culture serait alors une sorte d'organe supplémentaire et partagé, invisible, immatériel mais totalement essentiel. Car nous sommes produits par la culture, nous sommes aussi les transmetteurs de la culture et conscients de cette nécessité, et nous sommes tous totalement dépendants de la culture.

Cette unique spécialisation qui n'est évidemment pas un organe, s'enracine dans la taille et la structure du cerveau ainsi que dans notre capacité physique de parler et d'utiliser des outils. En contre partie cette spécialisation nécessite un apprentissage, une transmission. On apprend de la génération qui nous précède à devenir humain et membre d'un groupe. Sans cette transmission le groupe disparaît. L'humanité de ces membres aussi. La culture est donc avant nous et restera après nous, comme un organe invisible qu'on partage avec d'autres, qui sont vivants, morts, ou à venir. Cet organe ressemble autant à une source de vie dans laquelle on baignerait, qu'à une ressource extérieur à nous.  Elle est indispensable à la vie, à la survie et à la perdurance de tout groupe humain. On peut toujours situer la ressource dans le passé, dans la capitalisation des savoirs et savoir-faire des générations précédentes, mais elle s'inscrit aussi et surtout, au présent dans l'échange, pour communiquer, coopérer, s'organiser, vivre ensemble, d'ailleurs en actualisant les modèles du passé qu'on a reçus aux nouvelles conditions du moment. Cette ressource on peut aussi la situer dans l'avenir, le futur, ou dans l'imaginaire qui l'anticipe, dans la poursuite d'un objectif commun, d'un idéal, ou d'une espérance collective, d'un sentiment partagé, d'un sens à la vie, à la vie du groupe autant qu'à celle de l'individu.

Mais parler des hommes préhistoriques et de leur culture est très pratique car il ne sont pas là pour nous contredire. Nous cherchons à déchiffrer et à comprendre les traces que leur culture a laissées, sur les parois des grottes, dans les sépultures, dans des pierres taillées. Mais nous savons très peu de choses finalement. Nous avons sûrement tendance à nous les imaginer « un peu tous pareils », avec les mêmes préoccupations, les mêmes solutions au mêmes problèmes de survie, les mêmes pensées, les mêmes idées du sacré... Mais qu'en savons nous ? Peut-être que déjà eux même se voyaient comme des êtres très différents d'un groupe à l'autre, peut-être avaient-ils des mœurs, des coutumes très diversifiés, et ce dès le départ. Il est difficile de parler et différencier dans les détails, des cultures humaines sur une période d'un million d'année et sur la base de simples traces qui ont traversé le temps.

mercredi 9 octobre 2013

Qu'est-ce que la culture ? #1


Qu'est ce que la culture ?

Le terme culture regroupe beaucoup trop de sens différents pour être réduit à une simple définition. Les sciences humaines ou les sciences sociales n’y sont pas parvenues d’une façon complète et satisfaisante. Le cheminement nécessaire, sans épuiser la question de la culture, finalement, en a révélé toute la complexité. La ou les cultures humaines sont présentées autant comme une ressource, permettant de dépasser les contingences naturelles, de résoudre des problèmes, que, comme le moyen de découvrir les fondations et les mécanismes profonds de l'humanité, que, comme une «limitation», limitation d'un potentiel global sans cesse fragilisé par des particularismes, par des divisions, par le décalage qu'il existe toujours entre l'idée qu'on se fait de la culture (même s'il s'agit d'une idée scientifique) et la réalité beaucoup plus floue, versatile, approximative, fondamentalement instable.

Où sont les origines de la culture ?
Elles remontent à la pré-histoire et ont été envisagées par les paléoanthropologues comme une ressource d'adaptation au milieu naturel, ressource qui se serait progressivement substituée aux lois de l'évolution naturelle.

La culture des autres est-elle si différente ?
L'adaptation aux différents milieux naturels a conduit à l'émergence d'une diversité culturelle très importante. Les sociétés de Papouasie Nouvelle Guinée sont un exemple de cette très large différenciation. Les différences sont telles qu’elles ne trouvent pas d’explication simple, ni d’interprétation évidente.

Existe-t-il une base culturelle commune ?
L’ethnologie en comparant les différentes cultures a défini des invariants : une base culturelle commune à l’ensemble de l’Humanité. En même temps, notre culture contemporaine ne cesse de chercher à s’affranchir de ces constantes caractéristiques des sociétés traditionnelles.

Le mot culture existe-t-il depuis toujours ?
C’est un mot dont l’usage se généralise dans le courant de 18ème siècle avec la philosophie des Lumières. Il est alors utilisé comme un synonyme de civilisation. Il exprime de fait, une hiérarchie entre les cultures et un cheminement de l’Humanité dans la direction «d’une culture universelle» fondée sur la «Raison».

Pourquoi on confond culture avec civilisation ?
Cette «culture Universelle» dont est issue une partie de notre culture partagée, détermine des comportements raisonnables, comme des façons de penser qui nous apparaissent évidentes, rationnelles, nécessaires et utiles. Elles ne sont en fait, que l'aboutissement d'une dynamique symbolique qui a façonné un espace particulier de la société avant de se généraliser. Nos évidences partagées corroborent en fait le résultat d'associations d'idées autour de la notion de culture/civilisation. Cette culture est une élaboration sociale, artificielle et pas seulement une adaptation logique ou rationnelle à l’environnement naturel ou sociétal.

Pourquoi la culture pose autant de difficultés aux sciences ?
En fondant la culture sur la raison, on induit forcément l’idée d’une progression culturelle, d’une évolution des cultures et donc des peuples. L’anthropologie s’est inspirée dans un premier temps des travaux de Darwin (l’évolution du vivant du plus simples au  plus complexe) pour classer et comprendre le foisonnement des cultures humaines. Si le progrès technologique est avéré, si la complexification des sociétés est aussi une réalité, il est difficile d’envisager la culture selon la perspective du progrès. L’adaptation culturelle à la société contemporaine actualise et élabore une profusion de modèles inspirés de celui de la «civilisation", de celui des «cultures traditionnelles", ou bien d’innovations symboliques et artificielles, qui s’entremêlent d’une façon créative, mais sans logique globale évidente.

La culture : un déséquilibre perpétuel entre Unité et Diversité ?
Les approches contemporaines de la notion de culture sont beaucoup plus historiques que scientifiques. Elles racontent l’histoire des migrations, des rencontres entre les cultures, des dialogues, des métissages, des résistances... De fait, elles invoquent les modes d’adaptation à des sociétés pluri ou multiculturelles. Ces approches peuvent nous apparaître plus justes, plus neutres, mais elles sont surtout plus actuelles. Dans chaque pays, on définit le multiculturalisme de façon très différente. La politique s’insère toujours dans la définition de la culture qui constitue un enjeu de société important. Il n'y a pas de vérité ultime en la  matière, tous nos échanges, toutes nos réflexions, toutes nos conceptions reflètent la culture d'aujourd'hui (et la fabrique d’une certaine façon), dans ses contradictions, ses confusions ou ses paradoxes.
Cette absence de définition certaine marque une caractéristique fondamentale des cultures humaines. Leur dynamique semble définie par un projet d’unification (de clarification) sans cesse contrarié par un désir (ou par une fatalité) de différenciation.

La culture est une ressource dans le sens où elle propose et impose aux collectifs comme aux individus des modèles d’adaptation s’apparentant souvent à des solutions pour résoudre un problème. Cette ressource peut nous apparaître comme rationnelle et utilitaire. La culture ressemble aussi à un flux, à une source, qui met à disposition d’une façon arbitraire, des symboles, et qui permet aux groupes (simples ou complexes) de se « représenter comme tels », de se différencier de la nature, du règne animal, comme des autres, ou des autres cultures, de ressentir en commun, de partager des émotions, des rêves, ou une certaine folie. Il s'agit là du domaine du sensible, de l'imaginaire et de l’illusion.

La conjugaison entre cette source de symboles avec l’usage qu’on veut logique, raisonnable et évidente de la ressource culturelle, servent autant à définir nos certitudes nécessaires sur la meilleure façon de survivre et de se perpétuer, que notre incertitude fondamentale à propos des objectifs communs que nous poursuivrions ensembles. Cette dynamique limite la progression vers l'unité, permet le renouvellement et la diversité, dans un processus de construction déconstruction qui semble essentiel à l'adaptation des sociétés humaines, qu’elles soient simples ou plus complexes.